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Lecture analytique de "Roman"

Lecture analytique de « Roman » d’Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, Poésies, 1870

 

Introduction (situer, contextualiser, présenter l’auteur et le texte)

 

Poète majeur de la seconde moitié du XIXème siècle, Rimbaud nous surprend encore aujourd'hui par son talent précoce puisque le poème que nous allons lire a été écrit lorsqu’il avait 16 ans. Mais il nous intrigue aussi par l’arrêt brutal de sa production poétique quatre ans plus tard. Issu des « Cahiers de Douai » que l’on peut considérer comme un recueil même si Rimbaud n’a pas souhaité le publier ainsi, « Roman » est un poème de facture encore traditionnelle, écrit en quatrains d’alexandrins à rimes croisées et divisé en quatre parties numérotées, composées chacune de deux strophes. 

 

Lecture expressive du poème

 

Annonce de la problématique et des axes

 

Nous avons au total 32 vers pour composer un petit « roman » narrant la rencontre amoureuse d’un adolescent de dix-sept ans. Rimbaud y évoque de manière lyrique et satirique les émotions amoureuses d’un jeune homme à la fin du printemps. Il observe, avec une mise à distance, les réactions intimes de l’adolescent et s’amuse d'une idylle naissante avec une jeune demoiselle rencontrée. La tonalité humoristique et l’autodérision dont fait preuve le poète justifie le choix de notre problématique. En effet, nous nous demanderons en quoi ce poème peut-il être considéré comme exprimant un lyrisme post-romantique? (Reprise explicite de la question posée)

 

Nous nous intéresserons tout d’abord à l’importance des sensations pour évoquer les lieux et le moment de la rencontre puis nous verrons avec quel humour Rimbaud exprime l’émotion amoureuse d’un jeune homme, figure du poète lui-même. (annonce des deux parties)

 

Analyse pour répondre à la question

 

Construit sur quatre chapitres, le poème se donne à lire comme un petit « roman » organisé en deux parties: les deux premiers chapitres décrivent le cadre du récit, les deux derniers chapitres racontent les péripéties de la rencontre.

 

     1 .    Le contenu narratif du poème s’appuie sur des notations sensorielles pour évoquer les lieux et le moment de la rencontre.

 

♦ Rimbaud insiste tout d’abord sur les circonstances de la rencontre, sur les lieux et le moment. On peut remarquer l’importance accordée au moment: « un beau soir » avec 4 fois « soir », aux vers 2, 5, pour la première rencontre puis aux vers 28 et 29, pour le soir de la victoire et une fois« nuit », vers 13. C’est la fin du printemps, « nuit de juin », c’est-à-dire le moment de l’année où les nuits sont objectivement les plus courtes et où les désirs sont ici subjectivement les plus grands. Rimbaud instaure un lien subtil entre le désir d’aimer de l’adolescent de 17 ans et le moment de la journée ainsi que le moment de l’année. L’omniprésence de la nuit ou du moins de la pénombre dans le poème va ainsi conditionner les perceptions sensorielles et les décupler. 

♦ En effet, la perception visuelle va se trouver limitée. « Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon/ D’azur sombre » v. 9, 10. La portion de ciel aperçue devient métaphoriquement une étoffe et l’étoile qui y brille est une broche « piqué(e) d’une mauvaise étoile ». L’adjectif « mauvaise » ainsi que le substantif « chiffon » se veulent prosaïques et sans ampleur. Le spectacle est rendu au moyen d’oppositions de valeurs: « azur sombre » d’un côté, « étoile … petite et toute blanche » de l’autre. Seuls les « tilleuls » sont qualifiés de « verts » mais s’agit-il vraiment d’une couleur ou plutôt d’une valeur affective liée au printemps, à la jeunesse? 

Puis selon le principe baudelairien des synesthésies, Rimbaud va associer à la perception visuelle une sensation tactile: le scintillement de l’étoile devient « de doux frissons ». Et la sensation tactile est évoquée aussi lorsque « l’air est si doux que l’on ferme la paupière ». On voit que les autres sens sont décuplés par l’obscurité ou par l’aveuglement volontaire du jeune homme qui ferme les yeux pour mieux ressentir les autres sensations.

L’ouïe est alors sollicitée et les notations auditives sont nombreuses: le poète a fui les « cafés tapageurs » et le vent est « chargé des bruits » de « - la ville ». Principal vecteur des sensations, le vent est le support de nouvelles synesthésies car il est non seulement chargé de bruits mais aussi d’odeurs, de « parfums » v. 9,  2 fois, et les « tilleuls sentent bons dans les bons soirs de juin », v. 5. Le pluriel de « parfums » et sa répétition « des parfums de vigne et des parfums de bière » comme l’adjectif « bon » amplifient l’impression de plénitude olfactive et de plaisir sensuel.

♦ Mais Rimbaud va opposer dans cette description deux univers qu’il va affecter de valeurs positives et négatives: la ville et la nature. La cité est lieu du bruit et de la lumière agressive, « cafés tapageurs aux lustres éclatants ». Le rejet est exprimé brutalement par un monosyllabe « foin » qui témoigne bien d’une rupture renforcée par le deuxième tiret au vers 4. Le jeune homme se tourne alors vers la nature « on va sous les tilleuls verts de la promenade » (v. 4) La nature a permis les premiers émois sensuels observés précédemment, elle déclenche aussi l’élan poétique qui transforme le ciel étoilé (3è strophe) et provoque une forme d’ivresse. C’est une nouvelle manière d’apprécier l’environnement grâce aux parfums entêtants des tilleuls qui encadrent le poème de la première à la dernière strophe. On peut ajouter les parfums de « vigne » et de « bière » qui connotent l’ivresse dionysiaque et la libération des instincts par les boissons alcoolisées. Cette ivresse était annoncée par les exclamations et les phrases nominales du vers 13 «  Nuit de juin! Dix-sept ans! » puis un champ lexical qui ne laisse aucun doute « on se laisse griser », « on divague », « la sève est du champagne ». Cette communion avec la nature, grâce aux sensations, permet au poète de sentir bouillonner en lui sa propre sève, que la métaphore transforme en champagne, le vin de la fête et du succès. Ainsi l’ébriété qui le gagne diminue le contrôle de la raison sur le comportement, laisse émerger le désir, ce que suggère la rime « baiser » avec « griser » ainsi que l’opposition à la rime de « tête » et de « bête ».

(Bilan et ransition) 

Cette première description pourrait donc être qualifiée de lyrique par l’expression des sensations et des émotions du jeune homme, par l’expansion de son désir et le rôle de préfiguration d’une apparition féminine de la métaphore du ciel car la fête du corps libéré par les odeurs et par la pénombre a préparé le poète à la rencontre inconsciemment désirée. Mais ce lyrisme n’est pas à lire au premier degré. En effet, c’est avec humour que le poète raconte ses premières émotions amoureuses.

 

      2.    Une mise à distance par l’humour et le refus de l’idéalisation romantique.

 

♦  Le récit de la rencontre amoureuse a été préparé par l’ivresse qui lève les interdits mais surtout par l’imagination qui bat la campagne. Le « mensonge romantique » est suggéré par la référence explicite au genre romanesque. La seconde partie du roman commence par « Le coeur fou Robinsonne à travers les romans », vers 17. Grâce au néologisme « Robinsonne » renvoyant au héros de Defoe mais aussi à d’autres romans « à travers les romans », Rimbaud suggère un vagabondage de l’esprit dans l’univers romanesque lorsqu’il est libéré de la réalité diurne et que la rêverie nocturne peut se déployer grâce à des sensations nouvelles. Le corps bouillonnant et l’esprit divagant sont prêts à la rencontre. La proposition conjonctive temporelle suit immédiatement la robinsonnade « — Lorsque […] /Passe une demoiselle aux petits airs charmants », vers 18, 19. Le déterminant indéfini « une » signale que c’est une une parfaite inconnue certes, mais celle-ci devient aussitôt, dans l’effervescence des réactions physiologiques et l’emballement de l’imagination, l’être attendu. Les adjectifs évaluatifs « petits » et « charmants » ont une valeur affective et donnent à la jeune fille une séduction renforcée par le trottinement de ses « petites bottines » que l’on entend presque grâce à l’allitération en t « Tout en faisant trotter ses petites bottines ». 

Mais cette rencontre est aussitôt contrariée par l’obstacle représenté par « l’ombre du faux-col effrayant de son père ». Ce père est représenté par une synecdoque hyperbolique qui amplifie sa rigidité (faux-col) et sa dangerosité (ombre). L’adjectif « effrayant » quant à lui introduit une hypallage qui affecte au « faux-col » le caractère effrayant qui devrait qualifier normalement le père. Le registre épique qui pointe ici a des accents héroï-comiques. Le jeune homme s’exagère l’obstacle du père. Et c’est la jeune fille qui se retourne bravant l’autorité paternelle. Le jeune homme, lui, reste figé, stupide, muet comme le suggère l’euphémisme « sur vos lèvres alors meurent les cavatines ». L’amour naissant est magnifié par la référence au lyrisme de l’opéra mais l’attitude du jeune homme n’est pas héroïque. Ravi par l’amour, il reste pourtant passif.

 

♦  Car cette rencontre amoureuse est racontée avec une distance ironique qui donne beaucoup de saveur à ce récit. Rimbaud casse les effets dus à son emportement romantique. Le choix du pronom indéfini « on » ou de la deuxième personne « vous », v. 14, 21, du déterminant possessif « sur vos lèvres »…, témoignent premièrement de la mise à distance du « je » lyrique. Mais le premier vers « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » fonctionne déjà comme un postulat de base répété quasiment comme une morale à la fin. En effet, la lecture est infléchie par le double sens de l’adjectif « sérieux »: il peut signifier que l’adolescence est l’âge des bêtises, des écarts de conduite, des folies mais il peut aussi signifier que le comportement des adolescents ne prête pas à conséquences, qu’il est frivole, léger, sans gravité.

De plus, le spectacle de la nature étudié précédemment ne laisse jamais le lyrisme l’emporter. Le poète hésite entre admiration poétique et correction prosaïque: si le terme « azur » appartient bien à l’univers poétique, la métaphore du « petit chiffon » appartient, elle, à un univers prosaïque; de même la première étoile qui brille, sans doute Vénus, la plus brillante est désignée comme « une mauvaise étoile », « petite ». Enfin le désir qui monte est comparé à une « petite bête », ce qui connote davantage les instincts primaires que les sentiments. La répétition de l’adjectif « petite » aux vers 9, 12, 16, 22 participe sans doute aussi de cette volonté de brider les élans lyriques.

De surcroît, le récit de la rencontre reprend des schémas de comédie où la jeune fille  sait échapper à la surveillance du vieux barbon puisque c’est elle qui, en se retournant, enclenche l’intrigue amoureuse. C’est elle qui le trouve « immensément naïf » et s’avère plus rouée que lui, muet et intimidé, risible même. Elle se moque de ses poèmes, « vos sonnets la font rire » et lui fait parvenir une lettre qui sonne comme un triomphe. Rimbaud place le poète en position d’adorateur comme dans la poésie courtoise « L’adorée, un soir, a daigné vous  écrire ». Mais les rôles et les termes hyperboliques empruntés à la poésie amoureuse traditionnelle contrastent avec le « mauvais goût » dénoncé par ses amis et le succès fêté dans les « cafés éclatants » avec « des bocks ou de la limonade ». Que dire enfin de l’état « Loué jusqu’au mois d’août » où le jeune homme serait en location et donc réservé comme un logement, à moins qu’il ne s’agisse du verbe « louer » au sens de l’éloge? Le poète se moque de lui-même et ne semble pas prendre au sérieux les élans lyriques que suscite sa passion romantique.

 

Conclusion

 

Ce poème serait donc plutôt un anti-roman (ou un roman comique cf Scarron). Le poète reprend le schéma romantique de la rencontre amoureuse dans un locus amoenus, une rencontre vécue comme un coup de foudre, une illumination suivie d’élans poétiques mais pour en faire des clichés qu’il dénonce avec l’humour de l’auto-dérision. Cette mise à distance, non seulement du sentiment amoureux mais aussi de rôles et situations conventionnels dans la littérature, est tout à fait remarquable à son âge. L’amour se résume, dans ce poème, à des réactions physiologiques liées à la nature, au moment, aux sensations, au printemps aphrodisiaque. Quant aux relations amoureuses, il s’agirait d’un jeu conventionnel (cf réalisme) où les garçons ne sont pas les maîtres malgré la pseudo-victoire fêtée à la limonade. (Bilan lecture)

On est donc bien dans un lyrisme post-romantique. Rimbaud est un héritier (classique par la forme) mais un rebelle aussi. La révolte que porte sa parole poétique nous charme par la fraîcheur de l’évocation, la hardiesse des images. Et l’on reste surpris de sa maturité en même temps, exprimée par l’humour du point de vue. (réponse définitive à la question)

Mais ce n’est pas le seul aspect de la modernité de l’écriture poétique de Rimbaud. (ouverture)

 

(Quels sont les autres aspects de sa modernité? expression ou image triviales, ruptures avec tirets, points de suspension, phrases nominales ou inachevées, un seul rejet au vers 10 : explications qu’il faut être capable de donner si questions sur modernité… durant l’entretien.)

 

ou (autre ouverture)

 

 Le talent du poète est présent même dans ses vers de jeunesse, surtout peut-être.

 



05/09/2018
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