Ailes4L

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O.I La Boétie


Texte 4 Le secret de la domination

LECTURES ANALYTIQUES                       Discours de la Servitude Volontaire,  LA BOETIE

 

 

TEXTE 4

 

 Rappel: Introduire l’auteur et l’oeuvre…

 

Situation du passage et problématique:

 

Dans l’extrait étudié qui se situe vers la fin du discours, La Boétie aborde un point crucial de sa réflexion. Après avoir démontré la complicité active des populations asservies pour maintenir au pouvoir un tyran qui les maltraite, c’est ce qu’il nomme la « servitude volontaire », La Boétie va révéler le « secret de la domination ». C’est pourquoi, nous nous demanderons, comment La Boétie met en relief sa pensée pour attirer notre attention sur le « ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de la tyrannie »?

Nous observerons tout d’abord  (1) les procédés auxquels il recourt pour mettre en relief sa pensée, puis nous verrons (2) sa volonté de démontrer et de  nous convaincre pour finir (3) par la dénonciation de la mécanique du pouvoir.

 

1. La Boétie souligne l’importance de ce qu’il va révéler.

 

        En effet, la première phrase met en relief la réflexion qui va suivre. Grâce à un rythme binaire « le ressort et le secret », « le soutien et le fondement » (l.2) et à l’adverbe déictique « maintenant » qui souligne le moment de la réflexion, La Boétie met en relief par un effet d’annonce ce qu’il va révéler. Le terme « secret » suggère même qu’il s’agit d’une révélation de ce qui est caché. On touche « maintenant » à l’essentiel.

      De plus, la réfutation d’une idée commune crée un effet d’attente: « celui qui pense que… se trompe fort à mon sens » (l. 4-5). L’énumération des armes ou de la force armée « les hallebardes, les gardes et la tour de guet » (l.4) complétée plus loin avec « les bandes de cavaliers », les compagnies de fantassins », « les armes » (l.14-15) représente la force, la violence qui garantirait le pouvoir des tyrans. L’anaphore « ce ne sont pas » (l.14-15), répétée trois fois insiste encore sur la violence que tout le monde croit être l’assise d’un tyran. L’opinion commune, c’est la croyance que l’armée, la force brutale serait le fondement de la tyrannie. Or, La Boétie refuse cette évidence pour énoncer un nouveau paradoxe: « on ne le croira pas au premier abord » (l.16).

       Enfin, grâce à une forte implication du locuteur: « à mon avis » (l.1), « à mon sens » (l.5), « mais certes, c’est vrai » (l.17) qui modalise son énoncé de  façon à affirmer avec certitude, La Boétie insiste et met en relief ce qu’il va nous révéler.

 

2. En effet, c’est avec une démonstration rigoureuse qu’il veut nous convaincre de la vérité de ce qu’il va révéler.

 

       Tout d’abord, il recourt à des figures d’insistance comme les répétitions pour souligner l’inefficacité des armes. Le champ lexical des armes et des combattants ( les gardes, les archers, les cavaliers, les fantassins)  que nous avons déjà relevé a été systématiquement discrédité par la répétition des tournures négatives: « non les gens bien armés » (l.8), « ils ne sont pas aussi nombreux que » (l.12), « ce ne sont pas » (l.14-15). Ainsi, La Boétie souligne l’inefficacité des armes et des guerriers.

     Puis il recourt à deux exemples historiques « les empereurs romains qui ont pu réchapper d’un danger » (l.10-11), «De là venait l’expansion du Sénat sous Jules César » (l.42-43) pour démontrer qu’il s’agit d’une vérité durable qui se vérifie dans l’histoire antique mais aussi mythologique: « Jupiter se vante de le faire chez Homère, disant que s’il tire la chaîne, il emmène vers lui tous les dieux » (l.41-42). Ainsi, pour réfuter puis pour confirmer ce qu’il affirme, La Boétie s’appuie sur les références antiques.

     Enfin, la répétition, la gradation et l’amplification sont les trois figures accompagnant la révélation du secret du pouvoir. Dans le troisième et long paragraphe de notre extrait, La Boétie explique que « ce sont toujours quatre ou cinq individus qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent tout le pays en esclavage » (l.18-19). L’anaphore du déterminant démonstratif « ces » (l. 24, 26, 28), la gradation « cinq ou six » (l.20), « ces six-là » (l.24), « ces six-là en ont six cents qui… » (l.27), « ces six-cents en tiennent sous eux six mille », (l.29) et l’amplification au quatrième paragraphe « ce ne sont pas les six mille, mais les cent mille, mais les millions  qui…» (l.38-39) , ces trois figures scandent et imitent l’amplification progressive du pouvoir et du contrôle de la société par le tyran et ses complices.

 

3. Car La Boétie démonte ici la mécanique du pouvoir, il dénonce la complicité des courtisans dans la mise en place d’une tyrannie.

 

     La métaphore du « filet » (l.38), de la « corde » (l.40) et de la « chaîne » (l.42) employée au début du quatrième paragraphe illustre parfaitement cette mécanique (lire le passage l. 37 « celui qui voudra s’amuser à dévider ce filet… tous les dieux »).

    Le tyran se maintient grâce à quelques complices qui ont eux-mêmes d’autres complices et ainsi de suite. La négation restrictive ligne 34 « ce n’est que sous leur ombre qu’ils peuvent durer » souligne la dépendance, l’interdépendance des complices et du tyran. L’antéposition de l’adjectif « Grande » placée en début de phrase témoigne également de l’importance de ce processus. De manière hyperbolique, La Boétie dénonce ainsi la multitude qui soutient le tyran.

Il critique ses complices en les désignant péjorativement. Le vocabulaire évaluatif est polémique: « complices de ses cruautés », « compagnons de ses plaisirs » (l.22), « maquereaux de ses voluptés » (l.23), « méchant » (l.25), « méchancetés » (l.26), « cupidité », « cruauté » (l. 32). Le tyran et ses complices ne sont pas des dirigeants vertueux!

    Enfin, La Boétie ramasse son propos dans des formules conclusives « En somme » (l.46) + « finalement » (49) et corrige l’opposition précédente (cf texte 3) qu’il avait établi entre le singulier (un tyran seul) et le pluriel (le peuple, les sujets). Désormais le rapport de force a changé et le comparatif d’égalité « autant de gens auxquels la tyrannie semble être profitable que d’autres à qui la liberté serait agréable » confirme ce changement. (On est à 50/50 maintenant). Le tyran n’est pas seul responsable d’abus; ses complices très nombreux, favorisés par le tyran et même multipliés à dessein pour « fournir de nouveaux soutien à la tyrannie » sont largement responsables du maintien de la tyrannie.

 

      Pour conclure et répondre à la question préalablement posée, La Boétie prend soin d’attirer notre attention sur un point essentiel de sa réflexion à l’aide d’effets d’attente, de répétitions et d’amplifications. En effet, il s’agit pour lui de nous donner enfin une explication rationnelle au paradoxe qu’il a tenté de comprendre. Cette explication constitue en fait une critique du rôle des ministres et des courtisans (de l’administration aujourdhui?). Toute une hiérarchie corrompue et solidaire du tyran est ainsi dénoncée.

     La critique du pouvoir, toujours abusif, selon La Boétie s’étend donc ici à ceux qu’il appelle plus loin « les tyranneaux ». Ainsi, nous pouvons comprendre que La Boétie élargit sa réflexion à tous les apprentis tyrans et « tyranneaux » que chacun de nous pourrait devenir.

 


20/01/2019
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Texte 3 Il y a trois sortes de tyrans

 

LECTURES ANALYTIQUES                       Discours de la Servitude Volontaire,  LA BOETIE

 

 

TEXTE 3

 

 Rappel: Introduire l’auteur et l’oeuvre…

 

Situation du passage et problématique:

 

Après s’être étonné qu’un seul homme puisse diriger voire tyranniser des millions d’hommes, après avoir dénoncé le paradoxe d’une servitude acceptée, désirée presque, malgré les souffrances infligées par le tyran, La Boétie cherche à comprendre « comment s’est enracinée si profondément cette volonté de servir » (p.17) 

Dans le passage que nous étudions, le jeune penseur définit trois sortes de tyrans. On se demandera comment La Boétie disqualifie dans cette analyse non seulement la tyrannie mais l’exercice même du pouvoir.

 

On observera d’abord, l’organisation de la démonstration puis l’on verra que La Boétie développe un réquisitoire qui condamne le pouvoir, toujours abusif.

 

1 .  Une analyse organisée en trois temps et trois définitions.   

 

a) Un volume inégal.   L’extrait que nous étudions est fortement structuré avec une introduction = 1er §, la définition de chaque tyran est donnée dans cette introduction. Puis les 3 § suivants définissent chacun un type de tyran. Enfin le dernier § constitue une conclusion. On remarque dans le volume des paragraphes qu’une sorte de tyran « celui à qui le peuple a donné l’Etat » (l.3) est plus particulièrement défini. Et l’on peut constater aussi que la conclusion qui fait appel à la raison, « de raisons de choisir l’un ou l’autre » (l.28) est l’un des plus longs paragraphes. La Boétie ne leur accorde en effet pas la même attention et cela se voit dans le volume inégal des lignes consacrées à chaque tyran.

 

b) Un ordre modifié qui met en valeur un tyran.    Après une définition sommaire (3 lignes) de l’origine du pouvoir de chaque « tyran » (l.1) : « les uns… par, […] les autres … par… », La Boétie reprend et complète sa définition en consacrant un paragraphe à chaque type de tyran. Il compare leur comportement (l. 5/ 7-8/14-15) et explique leur attitude mais il modifie l’ordre de présentation des tyrans: 2/3/1, afin de consacrer l’essentiel de sa réflexion au dernier tyran, celui qui est élu par le peuple! Chaque paragraphe s’étend en doublant de longueur: 3 lignes puis 7 lignes puis 13. Le dernier tyran est bien celui auquel il faut s’intéresser.

 

c) Mais une même organisation.    Cependant, pour comparer les trois tyrans, la structure des trois paragraphes est identique: La Boétie désigne d’abord le tyran par une périphrase: l. 4, 7 et 14 puis évalue leur comportement. Le premier « par le droit de la guerre » est disqualifié d’emblée par l’opinion commune, cf « on » l.5 et 6. C’est un conquérant, donc la force brutale est son lot, cf « terre de conquête », nous dirions aujourd’hui « en terrain conquis ». Le second est caractérisé à l’aide d’une métaphore filée « nourris dans le sein de la tyrannie » (l.8), « tirent avec le lait la nature du tyran » et celle-ci suffit à dénier aux chefs héréditaires toute possibilité de se comporter justement. Enfin, le troisième « celui à qui le peuple a donné l’état » requiert toute l’attention et la force argumentative du penseur. La Boétie commence par une concession avec deux verbes au conditionnel « devrait être » (l. 14), « le serait » (l.15) et deux modalisateurs « ce me semble » , « je crois » (l.15) pour détruire aussitôt l’illusion d’un pouvoir juste: « si ce n’est que dès lors que » (l.16) « et dès lors que » (l.20). En trois paragraphes et trois phrases (chq § = 1 phrase), La Boétie identifie l’origine du pouvoir et disqualifie chaque mode de gouvernance.

 

En effet, la réflexion que partage La Boétie aboutit à la condamnation systématique d’un pouvoir toujours abusif.

 

2 . Un réquisitoire contre l’abus du pouvoir, contre la tyrannie.

 

a) Un lexique polémique, dépréciatif et critique.  

 

Le champ sémantique des mots « tyrans » et « tyrannie » largement employé dans ce passage ( l. 1, 8, 9, 22, 23,) comporte, en effet, en soi, l’abus du pouvoir. La Boétie aurait pu employer un terme plus neutre comme « chef politique ». Or, c’est le mot « tyran » connoté négativement qu’il choisit. De plus, en les comparant, il juge le second tyran « guère meilleur » (l.8) et considère que le troisième aurait dû être « plus supportable » (l.15). Cette litote condamne davantage encore le dernier tyran. En outre, les tyrans sont qualifiés négativement par leur défauts: «avares ou prodigues» (l.12), « flatté » (l.16) « vices » et « cruauté » (l.21, 22). Par ailleurs, la répétition de la locution temporelle « dès lors que » (l. 16 et 20), insiste sur un processus  quasi inéluctable de transformation en tyran. Enfin, le vocabulaire choisi pour désigner les sujets dans les dernières lignes de notre extrait révèle toute la brutalité des tyrans à leur égard: « taureaux à dompter », « une proie », « esclaves naturels » (l.32-34). C’est donc un réquisitoire sans appel que développe ici La Boétie, en gardant toutefois une énonciation prudente.

 

b) L’implication du locuteur dans son discours

 

Les deux premiers tyrans sont définis en recourant au pronom indéfini « on » (l.5 et 6) ou sans énonciateur. En revanche, pour le dernier  tyran, l’énonciateur s’implique manifestement dans son discours « ce me semble » , « je crois » (l.15), « je ne sais quoi » (l.17) afin d’exprimer son opinion avec, toutefois, quelques précautions, comme en témoignent les modalisateurs d’incertitude. Le recours aux conditionnels « devrait » (l.14), « serait » (l.15) et l’ironie de la formule « je ne sais quoi qu’on appelle la grandeur » suggèrent alors que le tyran élu par le peuple s’altère toujours, se corrompt et trahi la confiance de ceux qui l’ont élu. En effet, le rappel du paradoxe « c’est chose étrange de voir » (l.20), à travers l’étonnement feint de l’auteur, souligne, grâce une comparaison hyperbolique, « combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et particulièrement en cruauté les autres tyrans » (l. 21-22). Les adverbes d’intensité comme « si fort » et « tant » (l. 24) accentuent encore la volonté du tyran de priver ses sujets de la « liberté » (l.25), seule occurence du mot dans ce passage.

C’est pourquoi, La Boétie achève son analyse des trois tyrans en s’impliquant fortement avec un modalisateur de certitude « pour dire la vérité » et la première personne « je vois bien que » (l. 27), « je n’en vois point » (l.29). Sa conclusion se révèle une condamnation générale de l’exercice du pouvoir. C’est un véritable dilemme politique qu’il énonce puisqu’aucun tyran n’est souhaitable. Que choisir?

 

 

 

Pour conclure, nous pouvons affirmer que La Boétie condamne sans appel les trois formes de légitimité du pouvoir. Grâce à une démonstration très structurée et convaincante, le jeune penseur politique de la Renaissance disqualifie, dans son analyse, non seulement la tyrannie mais l’exercice même du pouvoir. 

 

C’est une mise en garde lucide qui s’adresse peut-être surtout aux démocraties menacées par le totalitarisme et c’est donc une réflexion particulièrement actuelle.

 


20/01/2019
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Texte 2: Un appel à la liberté

LECTURES ANALYTIQUES                       Discours de la Servitude Volontaire,  LA BOETIE

 

 

TEXTE 2

 

Né à Sarlat l’année de la création du Collège de France et du couronnement impérial de Charles Quint (1530), La Boétie fait ses études au collège de Guyenne, celui-là même que fréquentera plus tard Montaigne, qui deviendra également son meilleur ami et son légataire testamentaire. C’est que la vie de cet humaniste brillant aura été malheureusement écourtée par une maladie qui l’emporte en quelques jours. Il nous reste de lui quelques vers et surtout ce célèbre Discours de la Servitude volontaire qui donna envie à Montaigne de rencontrer son auteur. La Boétie analyse dans ce discours les mécanismes du pouvoir et démontre le paradoxe d’une servitude volontaire et parfaitement acceptée.

 

Situation du passage et problématique:

 

Dans ce passage, La Boétie s’indigne de ce que les hommes ne désirent pas davantage la liberté et qu’ils « se laissent ou plutôt se font maltraiter, puisqu’en cessant de servir, ils en seraient quittes » (p.13). Alors que, dès le début du discours, il nous a démontré qu’un tyran seul n’a de puissance que celle que ses sujets veulent bien lui donner, La Boétie s’adresse maintenant directement aux peules tyrannisés. Notre passage se distingue effectivement par le changement énonciatif opéré et par un nouveau ton plus offensif du penseur.

C’est pourquoi, nous nous demanderons ce que signifie cette rupture énonciative et ce passage à la deuxième personne. Pourquoi La Boétie s’adresse-t-il directement aux peuples tyrannisés?

 

Nous montrerons tout d’abord que la structure du texte progresse vers un appel à la liberté puis que le discours recourt à la fois au registre polémique et pathétique pour tenter de persuader ses lecteurs de désirer la liberté.

 

 

1. Une structure qui progresse vers un appel à la liberté.

 

                 Ce passage est construit sur l’opposition réitérée de deux pronoms et des déterminants possessifs liés: « vous » (l.2) opposé à « il », « lui » (l.19-20). La deuxième personne « vous », « vos », désigne les « peuples insensés » (l.1) apostrophés dès le début de cet extrait; ce sont les gouvernés, les sujets, esclaves d’un maître. « Celui », « lui », « il », c’est le maître, le souverain auquel les premiers obéïssent aveuglément. Le pluriel « vous » s’oppose au singulier « il », parce que La Boétie insiste sur la puissance supposée du nombre et la faiblesse du singulier. Or, le paradoxe c’est qu’un seul puisse dominer une multitude. Ce que souligne la correction « non pas des ennemis, mais certes oui bien de l’ennemi » (l.11)

             On constate que dans les premières lignes (l. 1 à 11), le pronom  « vous » domine largement et se trouve en position grammaticale de sujet mais à partir de la désignation de « l’ennemi » (l.11), c’est la troisième personne « il » introduite d’abord par des périphrases qui le définissent « celui que vous avez fait … » (l.11), « celui qui vous maîtrise tant … » (l.14), c’est cette troisième personne qui se retrouve en position de sujet grammatical. La deuxième personne « vous » devient objet, c’est-à-dire le COD du verbe. Le peuple est l’objet sur lequel s’exerce l’action du maître qui les tyrannise. Mais pis encore, « vous » est le propre agent de son asservissement: « l’avantage que vous lui faites pour vous détruire » (l.18) , « vous vous affaiblissez, afin de le rendre plus fort » (l.36). En effet, dès la ligne 27, « vous » redevient sujet mais de verbes d’actions réalisées pour le maître. Une répétition syntaxique composée d’une proposition principale (l’action du peuple) et d’une proposition subordonnée de but (le profit du maître) est reprise six fois: « Vous semez vos fruits afin qu’il les gâte… »; de la ligne 27 à 37. Cette répétition met en relief non seulement le conflit d’intérêt entre le peuple et celui qui le gouverne en abusant de lui mais aussi l’incohérence de celui qui contribue à son propre malheur.

         Enfin, le mouvement du passage révèle aussi cette progression du discours vers une exhortation à se libérer du joug des tyrans. On distingue un premier mouvement introduit par une apostrophe « Pauvres et misérables peuples insensés » (l.1) et une phrase nominale et exclamative, suivie de reproches violents destinés à susciter un sursaut d’orgueil des opprimés, de la ligne 1 à 9. Puis (2è mvt) La Boétie explore les causes de cette infortune: le peuple s’est volontairement donné un maître. Mais il insiste sur les limites physiques du maître: il « n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps » (l.15-16). Les négations restrictives répétées rappellent que le maître n’est qu’un homme seul. Puis un troisième mouvement composé de questions oratoires (6 au total) prend à parti le peuple en exposant les causes de son asservissement, c’est-à-dire sa complicité active avec le tyran. Un quatrième mouvement de la ligne 27 à 41 énumère les aspects concrets de cette complicité qui conduit le peuple à se dépouiller volontairement de ses biens au profit de son maître. (unité de ce mvmt: parallélisme syntaxique + struct. énumérative + structure antithétique). Enfin, le dernier mouvement se signale par l’emploi du mode impératif « Soyez… ne le soutenez plus » et l’apparition de l’orateur « Je ne veux pas que… » afin d’exhorter le peuple à désirer la liberté: « Soyez décidés à ne plus servir, et vous voilà libres » (l.41). Le futur de l’indicatif du verbe « verrez » (l.43), mode de la certitude, esquisse alors une issue possible et même certaine à des années de servitude.

 

2. En effet, ce passage a pour visée de persuader le lecteur qu’il doit désirer la liberté pour devenir libre.

 

          Pour cela, La Boétie recourt tout d’abord au registre polémique. Le vocabulaire évaluatif montre une condamnation sans appel non seulement du maître mais aussi du peuple. Ce lexique est dépréciatif: insensés 1, aveugles 2, piller 4, dépouiller 5, complices 26, traîtres 27, pour les opprimés qui ne sont pas des victimes innocentes mais bien des victimes consentantes, ce qui est surprenant mais ce qui scandalise le jeune penseur. Puis le réquisitoire contre les tyrans se fait plus véhément et La Boétie éclate en reproches indignés. Le tyran est désigné par les termes : ennemi 11, brigand 26, meurtrier 27, sa luxure 30, ses convoitises 33, ses vengeances 33, ses délices 35, sales et vilains plaisirs 35… Les termes sont durs, violents. Ils discréditent moralement un tyran qui ne mérite pas le moindre soutien. Les antithèses nombreuses soulignent les divergences d’intérêt entre les gouvernés et leur maître ( l.27 à 41). Les hyperboles et les questions oratoires contribuent à rendre le principal paradoxe incompréhensible et inacceptable, à savoir que les peuples sont esclaves parce qu’ils le veulent bien.

         L’originalité de La Boétie réside dans cette lucidité qui ne transforme pas les opprimés en pauvres victimes du méchant tyran. Il ne s’apitoie pas de manière manichéenne opposant les bons et le méchant. Et l’apostrophe initiale pose d’emblée l’aveuglement des opprimés comme la cause première de leur malheur: « Pauvres et misérables peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien! » Cependant, La Boétie n’est pas insensible à la souffrance du peuple et la tonalité est bien pathétique lorsqu’il évoque la dure condition faite au peuple dépossédé de ses biens et de ses enfants. Les adjectifs « pauvres et misérables » peuvent être polysémiques et pris au sens propre et figuré dans le contexte. Les reproches qu’il adresse aux opprimés sont aussi accompagnés d’éloges reconnaissant leurs qualités « le plus beau et le plus clair de votre revenu » (l.3), leur vaillance « si courageusement à la guerre » (l.12-13). On perçoit la gradation des malheurs du peuple tyrannisé dépossédé d’abord de ses biens puis de ses enfants: « vos fruits… vos maisons… » (l.28-29) puis « vos filles, … vos enfants » (l. 30-31). La Boétie offre donc une image pathétique des opprimés. Mais c’est pour les exhorter à se libérer et à ne plus subir, ni soutenir le tyran. Enfin, la comparaison avec « les bêtes » (l.38) achève cette peinture d’hommes ravalés au rang inférieur d’animaux, ayant perdu le statut d’homme. La Boétie nous pousse à nous interroger lucidement: sommes-nous encore des humains si nous sommes privé de la liberté?

 

 

          Pour conclure et répondre à la question posée initialement, nous dirons que La Boétie s’adresse directement aux peuples tyrannisés pour les exhorter à se libérer de leurs chaînes: « Soyez décidés à ne plus servir, et vous voilà libres. » La Boétie s’attaque violemment non seulement aux tyrans mais surtout aux tyrannisés. Le discours s’adresse au peuple asservi (destinataire premier) dont La Boétie déplore l’esclavage et non au tyran (destinataire second). Ce sont les peuples « insensés » qui sont visés en premier. L’idée développée est forte et originale: le souverain tire son pouvoir non de sa puissance mais de celle que veut bien lui concéder le peuple, ses sujets: c’est un colosse aux pieds d’argile! 

La réflexion est moderne et nous rappelle que le pouvoir est moins imposé que consenti. Cependant, sans grande illusion, La Boétie se reproche son manque de sagesse un peu plus loin (p.17) « je ne fais pas preuve de sagesse de vouloir prêcher en ceci le peuple qui depuis longtemps a perdu toute connaissance …» Sommes-nous donc condamnés à la servitude?

 


19/01/2019
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Pour DISSERTER

Un corrigé de dissertation sur le thème de la servitude volontaire.

 

Vers la dissertation


11/11/2018
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Lecture analytique 1 DSV

LECTURES ANALYTIQUES                       Discours de la Servitude Volontaire,  LA BOETIE

 

 

TEXTE 1

 

Introduction:

         Etienne de La Boétie est surtout connu pour son amitié avec Montaigne que celui-ci évoque au chapitre 28 du Premier Livre des Essais. Il n’a pourtant que 18 ans ou peut-être 16 aux dires de Montaigne lorsqu’il écrit le Discours de la servitude volontaire, remarquable ouvrage qui a eu un sort mouvementé. Publié pour la première fois par le camp protestant en 1574 sous la forme d’extraits piratés, il n’avait pas été publié par Montaigne lorsque ce dernier a édité en 1570 l’oeuvre complète de son ami. On sait pourtant que c’est en lisant ce discours que Montaigne a voulu connaître l’auteur et qu’ainsi est née leur amitié. La Boétie analyse dans ce discours le mécanisme du pouvoir et plus particulièrement de la tyrannie. La modernité de la pensée, son actualité est telle qu’il n’a jamais manqué ni d’admirateurs, ni d’interprétation, ni de rééditions.

       L’extrait que nous étudions constitue l’ouverture du discours, un exorde qui commence par une citation d’Homère, référence aux Anciens oblige. La Boétie cite l’Ulysse d’Homère mais commente, corrige même aussitôt les propos d’Ulysse. Cet esprit critique dès l’ouverture peut surprendre mais nous verrons que ce n’est que le début d’un texte à la pensée plutôt subversive.

        C’est pourquoi, nous nous demanderons comment La Boétie suscite-t-il notre intérêt pour la réflexion qu’il s’apprête à développer.

 

Nous verrons que La Boétie

  1. emprunte tout d’abord la forme oratoire du discours.
  2. Qu’il organise de manière logique et bien structurée cette réflexion.
  3. Qu’enfin, il va mettre en relief un paradoxe qui pique notre curiosité.

 

1. La forme du discours.

 

    - La situation d’énonciation s’apparente bien à un discours avec un énoncé ancré dans la situation de communication et un orateur qui manifeste sa présence dès la ligne 15 avec le pronom  « je » et le modalisateur « je crois » ainsi que l’emploi du présent d’énonciation. La Boétie se réfère aussi par deux fois au moment de l’énonciation lignes 22 et 32 « pour l’heure », « pour le moment ».

- De plus, ce discours s’ouvre sur une citation d’Ulysse, « parlant en public » (l.3) ce qui introduit aussitôt une polyphonie énonciative, La Boétie commentant le discours d’Ulysse et le corrigeant. Une deuxième citation sans auteur identifié est donnée ligne 23 « si les autres formes de gouvernement sont meilleures que la monarchie ». La forme orale que suppose le discours est ainsi soulignée par les autres voix que La Boétie introduit. Les verbes de paroles comme « s’exprimait » (l.3), « parlant » (l.3), « dit » (l.6) contribuent à la mise en scène d’un orateur.

- Enfin, des procédés oratoires comme la prise en compte d’un destinataire dans le dernier paragraphe (l.47) ou La Boétie recourt à un « nous » englobant tous les hommes, les répétitions « extrême malheur » (l. 17) et « extrêmement malheureux » (l.21), la reprise anaphorique de « tant » lignes 32, 33 et de la structure syntaxique « qui n’a de … que » lignes 36 à 38 contribuent à la forme oratoire de ce texte. La longueur des phrases, véritables périodes oratoires à la fin de l’extrait, soulignent la volonté de s’inscrire dans l’éloquence d’un discours à visée argumentative.

C’est pourquoi l’orateur s’attache à organiser soigneusement ce discours.

 

2 . Une organisation logique  bien structurée 

 

- Avec une opposition marquée dès le début à l’aide du connecteur d’opposition « mais » (l.6 et 16) et avec une affirmation accentuée par l’hyperbole « extrême » (l.17), « extrêmement  malheureux » (l.21), La Boétie condamne la domination « dure et déraisonnable » (l.10) d’un maître, l’allitération en [d] soulignant également la dureté des puissants.

- On remarque, de plus, une structuration forte des paragraphes avec la réfutation de la citation d’Ulysse en amorce ligne 13, dans le deuxième paragraphe puis une précaution nécessaire prise dans le troisième paragraphe: il ne s’agit pas de « débattre » du meilleur type de gouvernement (l.21,22). Dans le paragraphe 4, La Boétie expose alors la problématique à la ligne 32 « Pour le moment, je ne voudrais que tâcher de comprendre comment il peut arriver que tant d’hommes […] endurent […] un tyran seul » (l.33-35). Puis, l’exemple d’Athènes, dans le dernier paragraphe  de notre extrait, l.51, vient rappeler la « contrainte par la force de la guerre » (l.50) qui justifie que l’on supporte alors ce « mal patiemment » (l.54) et qui constate la faiblesse humaine.

- Enfin, l’étude des connecteurs logiques laisse apparaître de nombreuses relations causales: « puisque » (l.19, 45 et 46) ainsi que de nombreuses oppositions « mais, tout au contraire, toutefois, non pas… mais». En effet, La Boétie recherche l’origine de l’acceptation de la domination (cf connecteurs de cause), de la servitude des hommes et s’oppose (cf connecteurs d’oppositions) à l’opinion commune incarnée par la phrase d’Ulysse: n’ayons qu’un seul maître.

 

 

3 . Cette organisation rhétorique sert l’exposé du paradoxe.

 

En effet, le thème introduit est d’abord valorisé par l’étonnement mis en scène car La Boétie . Il recherche les causes d’une attitude et d’une situation difficile à comprendre et recourt à l’interrogative indirecte et au lexique de la surprise: « comment il peut arriver que tant d’hommes… » (l.34) , « Grande chose certes  et toutefois si commune… » (l.39), « plus s’en affliger, et moins s’en ébahir » (l.40), « il ne faut pas s’ébahir […] ni s’en ébahir ni le déplorer » (l.52, 53). La Boétie souligne l’étonnement que suscite la prise de conscience que nous nous soumettons volontairement à un maître, que nous préférons « mieux l’endurer que s’opposer à lui » (l. 38). Cet étonnement sera repris plus loin dans le discours (page 9 et 10) mais il sert d’emblée, dès le début du discours, à susciter la curiosité du lecteur. Le quatrième paragraphe de l’extrait est ainsi composé de deux longues phrases qui exposent la problématique du discours. La Boétie martèle les termes du paradoxe à l’aide d’anaphores, d’une gradation et d’oppositions: « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations  endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent; qui n’a de pouvoir de leur nuire que tant qu’ils en manifestent la volonté; qui ne saurait leur faire du mal que lorsqu’ils aiment mieux l’endurer que s’opposer à lui» (l.33-38). Les pluriels s’opposent au singulier (tant …//un tyran seul + hyperbole « un million d’hommes » l.41// « le nom seul d’un individu », « il est seul » l.45) et les propositions relatives qualifiant le tyran reprennent en anaphore la négation restrictive « ne…que » qui restreint la puissance du tyran à la volonté consentie des sujets. Le conditionnel « saurait » souligne également la condition sine qua non du pouvoir tyrannique: que les sujets « donnent » (l.36) le pouvoir au tyran. L’image de « la nuque sous le joug » rapproche les humains des animaux asservis par l’homme comme le boeuf de labour (l.42) et le vocabulaire de la magie « ensorcelés et charmés » (l.43,44) introduit même l’irrationnel pour décrire cette situation incompréhensible. Enfin, nous pouvons noter l’image négative que donne La Boétie des maîtres, des tyrans, affectés d’un lexique dépréciatif: « dure, déraisonnable, l.10, mauvais, l.19, inhumain et sauvage, l.46). Ce discours politique semble donc s’attaquer à la tyrannie.

 

Conclusion:

 

        Pour finir, nous pouvons reconnaître que cette introduction expose clairement les faits tout en piquant notre curiosité grâce à la progression efficace du discours et au paradoxe de la « servitude volontaire ». La Boétie, en homme de son siècle, a donc commencé son discours en citant les Anciens, l’Ulysse d’Homère, mais non pas comme argument d’autorité. Au contraire, le jeune penseur conteste aussitôt le deuxième vers d’Ulysse pour proposer ensuite une réflexion sur les mécanismes non seulement du pouvoir politique mais sur ceux qui régissent notre esprit, notre volonté et qui nous conduisent à renoncer à notre liberté. 

     Le regard neuf que porte La Boétie sur le rapport des sujets à leur souverain est original, intriguant et somme toute subversif, puisque Montaigne n’a pas souhaité éditer le texte durant le contexte des guerres de religion, craignant à juste titre une récupération politique de la pensée si subtile de son ami.

 

 

 

 


11/11/2018
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