Texte 4 Le secret de la domination
LECTURES ANALYTIQUES Discours de la Servitude Volontaire, LA BOETIE
TEXTE 4
Rappel: Introduire l’auteur et l’oeuvre…
Situation du passage et problématique:
Dans l’extrait étudié qui se situe vers la fin du discours, La Boétie aborde un point crucial de sa réflexion. Après avoir démontré la complicité active des populations asservies pour maintenir au pouvoir un tyran qui les maltraite, c’est ce qu’il nomme la « servitude volontaire », La Boétie va révéler le « secret de la domination ». C’est pourquoi, nous nous demanderons, comment La Boétie met en relief sa pensée pour attirer notre attention sur le « ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de la tyrannie »?
Nous observerons tout d’abord (1) les procédés auxquels il recourt pour mettre en relief sa pensée, puis nous verrons (2) sa volonté de démontrer et de nous convaincre pour finir (3) par la dénonciation de la mécanique du pouvoir.
1. La Boétie souligne l’importance de ce qu’il va révéler.
En effet, la première phrase met en relief la réflexion qui va suivre. Grâce à un rythme binaire « le ressort et le secret », « le soutien et le fondement » (l.2) et à l’adverbe déictique « maintenant » qui souligne le moment de la réflexion, La Boétie met en relief par un effet d’annonce ce qu’il va révéler. Le terme « secret » suggère même qu’il s’agit d’une révélation de ce qui est caché. On touche « maintenant » à l’essentiel.
De plus, la réfutation d’une idée commune crée un effet d’attente: « celui qui pense que… se trompe fort à mon sens » (l. 4-5). L’énumération des armes ou de la force armée « les hallebardes, les gardes et la tour de guet » (l.4) complétée plus loin avec « les bandes de cavaliers », les compagnies de fantassins », « les armes » (l.14-15) représente la force, la violence qui garantirait le pouvoir des tyrans. L’anaphore « ce ne sont pas » (l.14-15), répétée trois fois insiste encore sur la violence que tout le monde croit être l’assise d’un tyran. L’opinion commune, c’est la croyance que l’armée, la force brutale serait le fondement de la tyrannie. Or, La Boétie refuse cette évidence pour énoncer un nouveau paradoxe: « on ne le croira pas au premier abord » (l.16).
Enfin, grâce à une forte implication du locuteur: « à mon avis » (l.1), « à mon sens » (l.5), « mais certes, c’est vrai » (l.17) qui modalise son énoncé de façon à affirmer avec certitude, La Boétie insiste et met en relief ce qu’il va nous révéler.
2. En effet, c’est avec une démonstration rigoureuse qu’il veut nous convaincre de la vérité de ce qu’il va révéler.
Tout d’abord, il recourt à des figures d’insistance comme les répétitions pour souligner l’inefficacité des armes. Le champ lexical des armes et des combattants ( les gardes, les archers, les cavaliers, les fantassins) que nous avons déjà relevé a été systématiquement discrédité par la répétition des tournures négatives: « non les gens bien armés » (l.8), « ils ne sont pas aussi nombreux que » (l.12), « ce ne sont pas » (l.14-15). Ainsi, La Boétie souligne l’inefficacité des armes et des guerriers.
Puis il recourt à deux exemples historiques « les empereurs romains qui ont pu réchapper d’un danger » (l.10-11), «De là venait l’expansion du Sénat sous Jules César » (l.42-43) pour démontrer qu’il s’agit d’une vérité durable qui se vérifie dans l’histoire antique mais aussi mythologique: « Jupiter se vante de le faire chez Homère, disant que s’il tire la chaîne, il emmène vers lui tous les dieux » (l.41-42). Ainsi, pour réfuter puis pour confirmer ce qu’il affirme, La Boétie s’appuie sur les références antiques.
Enfin, la répétition, la gradation et l’amplification sont les trois figures accompagnant la révélation du secret du pouvoir. Dans le troisième et long paragraphe de notre extrait, La Boétie explique que « ce sont toujours quatre ou cinq individus qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent tout le pays en esclavage » (l.18-19). L’anaphore du déterminant démonstratif « ces » (l. 24, 26, 28), la gradation « cinq ou six » (l.20), « ces six-là » (l.24), « ces six-là en ont six cents qui… » (l.27), « ces six-cents en tiennent sous eux six mille », (l.29) et l’amplification au quatrième paragraphe « ce ne sont pas les six mille, mais les cent mille, mais les millions qui…» (l.38-39) , ces trois figures scandent et imitent l’amplification progressive du pouvoir et du contrôle de la société par le tyran et ses complices.
3. Car La Boétie démonte ici la mécanique du pouvoir, il dénonce la complicité des courtisans dans la mise en place d’une tyrannie.
La métaphore du « filet » (l.38), de la « corde » (l.40) et de la « chaîne » (l.42) employée au début du quatrième paragraphe illustre parfaitement cette mécanique (lire le passage l. 37 « celui qui voudra s’amuser à dévider ce filet… tous les dieux »).
Le tyran se maintient grâce à quelques complices qui ont eux-mêmes d’autres complices et ainsi de suite. La négation restrictive ligne 34 « ce n’est que sous leur ombre qu’ils peuvent durer » souligne la dépendance, l’interdépendance des complices et du tyran. L’antéposition de l’adjectif « Grande » placée en début de phrase témoigne également de l’importance de ce processus. De manière hyperbolique, La Boétie dénonce ainsi la multitude qui soutient le tyran.
Il critique ses complices en les désignant péjorativement. Le vocabulaire évaluatif est polémique: « complices de ses cruautés », « compagnons de ses plaisirs » (l.22), « maquereaux de ses voluptés » (l.23), « méchant » (l.25), « méchancetés » (l.26), « cupidité », « cruauté » (l. 32). Le tyran et ses complices ne sont pas des dirigeants vertueux!
Enfin, La Boétie ramasse son propos dans des formules conclusives « En somme » (l.46) + « finalement » (49) et corrige l’opposition précédente (cf texte 3) qu’il avait établi entre le singulier (un tyran seul) et le pluriel (le peuple, les sujets). Désormais le rapport de force a changé et le comparatif d’égalité « autant de gens auxquels la tyrannie semble être profitable que d’autres à qui la liberté serait agréable » confirme ce changement. (On est à 50/50 maintenant). Le tyran n’est pas seul responsable d’abus; ses complices très nombreux, favorisés par le tyran et même multipliés à dessein pour « fournir de nouveaux soutien à la tyrannie » sont largement responsables du maintien de la tyrannie.
Pour conclure et répondre à la question préalablement posée, La Boétie prend soin d’attirer notre attention sur un point essentiel de sa réflexion à l’aide d’effets d’attente, de répétitions et d’amplifications. En effet, il s’agit pour lui de nous donner enfin une explication rationnelle au paradoxe qu’il a tenté de comprendre. Cette explication constitue en fait une critique du rôle des ministres et des courtisans (de l’administration aujourdhui?). Toute une hiérarchie corrompue et solidaire du tyran est ainsi dénoncée.
La critique du pouvoir, toujours abusif, selon La Boétie s’étend donc ici à ceux qu’il appelle plus loin « les tyranneaux ». Ainsi, nous pouvons comprendre que La Boétie élargit sa réflexion à tous les apprentis tyrans et « tyranneaux » que chacun de nous pourrait devenir.