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O.IMontaigne


L'éducation humaniste selon Rabelais

Voici trois extraits de Gargantua et Pantagruel de Rabelais. Vous comprendrez ainsi les principes d’une éducation humaniste, selon Rabelais. Vous comprendrez aussi, j’espère, la visée critique du deuxième texte et l’opposition des deux éducations données à Gargantua.

 

Rabelais, Pantagruel, chap.VIII, Lettre de Gargantua à son fils [transcription modernisée]

[...]

Pour cette raison, mon fils, je te conjure d’employer ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon : l’un, par de vivantes leçons, l’autre par de louables exemples, peuvent bien t’éduquer. J’entends et veux que tu apprennes parfaitement les langues, d’abord le grec, comme le veut Quintilien, puis le latin et l’hébreu pour l’Écriture sainte, le chaldéen et l’arabe pour la même raison; pour le grec, forme ton style en imitant Platon, et Cicéron pour le latin. Qu’il n’y ait aucun fait historique que tu n’aies en mémoire, ce à quoi t’aidera la cosmographie établie par ceux qui ont traité le sujet. Des arts libéraux, la géométrie, l’arithmétique et la musique, je t’ai donné le goût quand tu étais encore petit, à cinq ou six ans : continue et deviens savant dans tous les domaines de l’astronomie, mais laisse-moi de côté l’astrologie divinatrice et l’art de Lulle qui ne sont que tromperies et futilités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur tous les beaux textes, et me les commentes avec sagesse. Quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t’y appliques avec soin : qu’il n’y ait mer, rivière ou source dont tu ne connaisses les poissons; tous les oiseaux de l’air, tous les arbres, arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout l’Orient et du Midi. Que rien ne te soit inconnu. Puis relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les talmudistes et cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une parfaite connaissance de cet autre monde qu’est l’homme. Et quelques heures par jour, commence à lire l’Écriture sainte, d’abord en grec le Nouveau Testament et les Épîtres des Apôtres, puis en hébreu l’Ancien Testament. En somme, que je voie en toi un abîme de science : car maintenant que tu es un homme et te fais grand, il te faudra sortir de la tranquillité et du repos de l’étude et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison et secourir nos amis dans toutes leurs affaires contre les assauts des malfaisants. Et je veux que rapidement tu mettes tes progrès en application, ce que tu ne pourras mieux faire qu’en soutenant des discussions publiques sur tous les sujets, envers et contre tous, et en fréquentant les gens lettrés, tant à Paris qu’ailleurs.

Mais parce que, selon le sage Salomon, la sagesse n’entre jamais dans une âme méchante, et que science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et en Lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi faite de charité, t’unir à Lui de manière à n’en être jamais séparé par le péché. Prends garde aux tromperies du monde, ne t’adonne pas à des choses vaines, car cette vie est passagère, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable envers ton prochain, et aime-le comme toi-même. Respecte tes précepteurs, fuis la compagnie des gens à qui tu ne veux pas ressembler, et ne gaspille pas les grâces que Dieu t’a données. Et quand tu t’apercevras que tu disposes de tout le savoir que tu peux acquérir là-bas, reviens vers moi, afin que je te voie et te donne ma bénédiction avant de mourir.

 

Mon fils, que la paix et la grâce de notre Seigneur soient avec toi. Amen. d’Utopie, le dix-sept mars, 

ton père, Gargantua.

 

 

Rabelais, Gargantua, chap. XX : « L’étude et diète de Gargantua selon la discipline de ses précepteurs sorbonagres » [transcription modernisée]

 

[...] Il employait donc son temps de telle façon qu’ordinairement il s’éveillait entre huit et neuf heures, qu’il fût jour ou non ; ainsi l’avaient ordonné ses anciens régents, alléguant ce que dit David : « Vanum est vobis ante lucem surgere ». Puis il gambadait, sautait et se vautrait dans le lit quelque temps pour mieux réveiller ses esprits animaux ; il s’habillait selon la saison, mais portait volontiers une grande et longue robe de grosse étoffe frisée fourrée de renards ; après, il se peignait du peigne d’Almain, c’est-à-dire des quatre doigts et du pouce, car ses précepteurs disaient que se peigner autrement, se laver et se nettoyer était perdre du temps en ce monde. Puis il fientait, pissait, se raclait la gorge, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et morvait comme un archidiacre et, pour abattre la rosée et le mauvais air, déjeunait de belles tripes frites, de belles grillades, de beaux jambons, de belles côtelettes de chevreau et force soupes de prime. Ponocrates lui faisait observer qu’il ne devait pas tant se repaître au sortir du lit sans avoir premièrement fait quelque exercice. Gargantua répondit : « Quoi ! n’ai-je pas fait suffisamment d’exercice ? Je me suis vautré six ou sept fois dans le lit avant de me lever. N’est-ce pas assez ? Le pape Alexandre faisait ainsi, sur le conseil de son médecin juif, et il vécut jusqu’à la mort en dépit des envieux. Mes premiers maîtres m’y ont accoutumé, en disant que le déjeuner donnait bonne mémoire : c’est pourquoi ils buvaient les premiers. Je m’en trouve fort bien et n’en dîne que mieux. Et Maître Tubal (qui fut le premier de sa licence à Paris) me disait que ce n’est pas tout de courir bien vite, mais qu’il faut partir de bonne heure. Aussi la pleine santé de notre humanité n’est pas de boire des tas, des tas, des tas, comme des canes, mais bien de boire le matin, d’où la formule : « Lever matin n’est point bonheur ; boire matin est le meilleur. » Après avoir bien déjeuné comme il faut, il allait à l’église, et on lui portait dans un grand panier un gros bréviaire emmitouflé, pesant, tant en graisse qu’en fermoirs et parchemins, onze quintaux et six livres à peu près. Là, il entendait vingt-six ou trente messes. Dans le même temps venait son diseur d’heures, encapuchonné comme une huppe, et qui avait très bien dissimulé son haleine avec force sirop de vigne. Avec celui-ci, Gargantua marmonnait toutes ces kyrielles, et il les épluchait si soigneusement qu’il n’en tombait pas un seul grain en terre. Au sortir de l’église, on lui amenait sur un char à boeufs un tas de chapelets de Saint-Claude, dont chaque grain était aussi gros qu’est la coiffe d’un bonnet ; et, se promenant par les cloîtres, galeries ou jardin, il en disait plus que seize ermites.

Puis il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux posés sur son livre mais, comme dit le poète comique, son âme était dans la cuisine.

 

Gargantua, chap. XXI : « Comment Gargantua fut institué par Ponocrates en telle discipline qu’il ne perdait heure par jour »

 

[...] Puis il le soumit à un rythme de travail tel qu’il ne perdait pas une heure de la journée, mais consacrait au contraire tout son temps aux lettres et au noble savoir.

Gargantua s’éveillait donc vers quatre heures du matin. Tandis qu’on le frictionnait, on lui lisait quelques pages des Saintes Ecritures, à voix haute et claire, avec la prononciation convenable. Cet office était confié à un jeune page, originaire de Basché, nommé Anagnostes. [...] Puis il allait aux lieux secrets excréter le produit des digestions naturelles. Là son précepteur répétait ce qu’on avait lu et lui expliquait les points les plus obscurs et les plus difficiles. Quand ils revenaient, ils considéraient l’état du ciel, notant s’il était tel qu’ils l’avaient remarqué le soir précédent, et en quels signes entrait le soleil, et aussi la lune ce jour- là. Cela fait, on l’habillait, on le peignait, on le coiffait, on l’apprêtait, on le parfumait et pendant ce temps, on lui répétait les leçons du jour précédent. Lui-même les récitait par coeur et les confrontait avec quelques exemples pratiques concernant la vie humaine, ce qui leur prenait parfois deux ou trois heures, mais, d’ordinaire on s’arrêtait quand il était complètement habillé. Ensuite, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la lecture.

Alors ils sortaient, en discutant toujours du sujet de la lecture et ils allaient se divertir au Grand Bracque, ou dans les prés et jouaient à la balle, à la paume, à la pile en triangle, s’exerçant élégamment le corps comme ils s’étaient auparavant exercés l’esprit. Tous leurs jeux se faisaient en liberté, car ils abandonnaient la partie quand il leur plaisait, et ils s’arrêtaient d’ordinaire quand la sueur leur coulait sur le corps, ou qu’ils étaient autrement fatigués. Alors, ils étaient très bien essuyés et frictionnés, ils changeaient de chemise, et allaient voir si le dîner était prêt en se promenant doucement. Là, en attendant, ils récitaient à voix claire et avec éloquence quelques maximes retenues de la leçon.

Cependant, Monsieur l’Appétit venait ; c’est au bon moment qu’ils s’asseyaient à table. Au commencement du repas, on lisait quelque histoire plaisante des anciennes prouesses jusqu’à ce qu’il prît son vin. Alors, si on le jugeait bon, on continuait la lecture, ou ils commençaient à deviser joyeusement tous ensemble. Pendant les premiers mois, ils parlaient de la vertu, de la propriété, des effets et de la nature de tout ce qui leur était servi à table : du pain, du vin, de l’eau, du sel, des viandes, des poissons, des fruits, des herbes, des racines et de leur préparation. Ce faisant, Gargantua apprit en peu de temps tous les passages relatifs à ce sujet dans Pline, Athénée, Dioscoride, Julius Pollux, Gallien, Porphyre, Oppien, Polybe, Héliodore, Aristote, Elien et d’autres. Après s’être entretenus là-dessus, ils faisaient souvent, pour plus de sûreté, apporter à tables les livres en question. Gargantua retint si bien, si parfaitement ce qui se disait là-dessus qu’il n’y avait pas alors de médecin qui sût la moitié de ce qu’il savait. Après, ils parlaient des lectures du matin, et terminant leur repas par quelque confiture de coings, il se curait les dents avec un bout de lentisque, se lavait les mains et les yeux de belle eau fraîche et tous rendaient grâce à Dieu par quelques beaux cantiques à la louange de la munificence et bonté divines.

Là-dessus, on apportait des cartes, non pas pour jouer, mais pour y apprendre mille petits jeux et inventions nouvelles qui tous découlaient de l’arithmétique. De cette façon, il prît goût à la science des nombres et tous les jours, après le dîner et le souper, il y passait son temps avec autant de plaisir qu’il en prenait d’habitude aux dés ou aux cartes.

 


20/01/2019
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Texte 3: Ce qu'en pensent les Indiens

Lecture analytique 3

 

Problématique : Comment Montaigne transforme une anecdote en une réflexion et remise en cause de réalités établies en France?

 

1) Montaigne raconte un souvenir authentique

 

A) Un témoignage sur le vif.   Au début du texte, on trouve exposées les circonstances d’un épisode ancré dans le réel: les personnages « trois d’entre eux » (l.1), le lieu « à Rouen » (l.9), le temps « du temps qu’y résidait le feu roi Charles IX » (l. 10). Le roi Charles IX « leur parla longtemps », il a alors 12 ans (1562). C’est l’action principale: le dialogue entre le roi et les trois indiens. Montaigne insiste sur l’aspect vérifiable de cette anecdote, il l’a vécue et la raconte ainsi qu’un témoin. Il y a un effet de réel pour le premier paragraphe mais l’enchâssement du dialogue avec les Indiens, dans le deuxième paragraphe, la polyphonie qui en résulte fait glisser le texte ensuite vers l’apologue.

B) Un témoin bienveillant mais inquiet.  Montaigne ne décrit pas les Indiens, refuse le pittoresque mais s’intéresse essentiellement à leur parole qu’il rapporte. Leur pensée, c’est un accès direct aux Indiens, plus intéressant pour lui que leur apparence extérieure. Il ne rapporte pas les paroles du roi mais focalise notre attention sur les Indiens. Il les présente avec bienveillance « à leur repos et à leur bonheur » (l.2), « la douceur de leur ciel » (l.8), supposant a priori (cf « comme je présuppose » l.5) qu’ils sont bienheureux dans leurs contrées lointaines.. Et l’on sent l’inquiétude et le pessimisme de Montaigne pour le sort des Indiens: c’est le sens de la longue apposition de la ligne 1 à 8 « ignorant…, bien misérables… le nôtre,». 

C) Un souci de vérité, un témoin fiable. Montaigne s’efface dans le deuxième paragraphe lorsqu’il reproduit les pensées des Indiens. Dans le premier paragraphe en revanche, la première personne est sujet d’un verbe modalisateur comme à la ligne 5 « je présuppose » ou aux lignes 15 et 16 « j’ai perdu la troisième -et en suis bien désolé-, mais j’en ai encore deux en mémoire ». L’aveu de l’oubli est un gage de vérité. Le caractère direct du témoignage, situé et daté, ainsi que la loyauté du chroniqueur inspirent confiance.                                         

 

(Bilan et transition) Nous avons donc dans ce texte une anecdote racontée avec le plus d’honnêteté possible mais aussi avec le regard bienveillant du témoin sur les Indiens alors que le regard porté sur les Européens par les Indiens ne sera guère valorisant. On passera du verbe « voir » (l. 8 et 11) à apercevoir ( l. 27) « s’étaient aperçus ». On constate qu’ il y a une prise de conscience, une révélation.

 

2) Montaigne remet ainsi en cause la société française

Par le biais des Indiens, Montaigne critique l’exercice du pouvoir royal et l’organisation d’une société inégalitaire 

A) La critique du pouvoir royal

Grâce au détour du regard des Indiens et de leur étonnement naïf ( ils sont « ignorant(s) » (l.1) et s’étonnent de ce qu’ils voient « fort étrange » (l.19)), Montaigne interroge la source du pouvoir: « que tant de grands hommes…se soumissent à obéïr à un enfant. » (l.19-23).  La périphrase « de grands hommes » est élucidée tout de suite mais elle souligne que la hiérarchie qui n’est pas fondée sur l’âge ou la force apparaît incompréhensible aux Indiens. Les parenthèses aux lignes 21, 22, témoignent de l’ironie de Montaigne qui emprunte le regard des Indiens mais précise, pour le lecteur, la méprise des Indiens « (il est vraisemblable qu’ils parlaient des Suisses de sa garde ) ». Le pronom indéfini « on » (l.23) apparaît, de plus, comme un indice d’ironie car la justification du pouvoir royal disparaît derrière ce pronom indéfini. Les deux passages entre parenthèses montrent enfin le souci didactique de Montaigne qui veut expliquer et se faire bien comprendre de ses lecteurs. Ainsi, le regard de l’autre permet d’interroger la légitimité d’un pouvoir confié à un enfant mais ce regard va servir aussi la dénonciation d’inégalités patentes en Europe.

B) La critique de l’organisation sociale inégalitaire.

Montaigne articule fortement et distinctement les deux attaques grâce aux connecteurs « en premier lieu » (l.18) et « secondement » (l.24). Cela valorise le discours de l’Indien qui organise sa réponse. Montaigne explique cette réponse dans la 2è parenthèse avec le recours au langage des Indiens: « (ils ont une figure de langage qui leur permet de nommer certains hommes des « moitiés » )» Cette métaphore indienne renforce la critique en soulignant la fraternité, la solidarité, l’égalité entre les humains: « des hommes » (l.28), « leurs moitiés » (l.29) et « ces moitiés » (l.31). Or la situation est foncièrement inégalitaire; c’est ce que révèlent les séries antithétiques « des hommes pleins, gorgés de toutes sortes de commodités » opposés aux « moitiés » qui mendient (l.30), sont « décharnées de faim et de pauvreté », « nécessiteuses » (l.32). Le regard étonné des Indiens est répété ligne 19 « ils trouvaient … fort étrange » et ligne 31 « ils trouvaient étrange que » , un étonnement devant ce qu’ils qualifient «d’injustice» (l. 33) et qui justifierait des actes de violence « prissent … à la gorge ou ne missent le feu » (l. 33,34). C’est le sens de la justice des Indiens qui fait apparaître les inégalités comme intolérables. La critique de la société française inégalitaire est claire avec même un appel à la rébellion. Mais les Français peuvent l’entendre car c’est un « sauvage » qui s’exprime. En effet, sous le voile de son ignorance et de sa naïveté, sa liberté de parole est possible car c’est un étranger. Cette critique est indirecte, c’est le propre de l’apologue. De plus l’anecdote est plaisante si l’on considère l’ironie de la situation. « On leur fit voir notre façon, notre pompe, la forme d’une belle ville » (l.11) et on leur avait demandé « ce qu’ils y avaient trouvé de plus admirable » (l.14). Or leur réponse est cinglante, ils ne sont pas aveuglés par la splendeur et « admirable » sera traduit dans le langage des Indiens par « étrange » (l.19). L’Indien reformule la question et se désintéresse de l’aspect matériel ou pittoresque de la visite. C’est lui qui nous donne une leçon politique et sociale!

 

Conclusion

Le mouvement du texte qui va de la chronique d’un événement, le voyage de trois Indiens en France, à l’observation des Français par les étrangers permet un jeu de regard propice à la remise en question et au glissement vers l’apologue. Montaigne regarde les Européens qui regardent les Indiens qui regardent les Européens. Le lecteur est invité à écouter les Indiens et à être observé par eux. Le plus important ici n’est peut-être pas l’intérêt satirique ou polémique du texte mais bien l’invitation de Montaigne à changer de point de vue pour se faire une opinion. En effet, Montaigne nous invite à une véritable réflexion enrichie par l’apport de l’altérité.

 

Comme dans L’ingénu de Voltaire ou les Lettres Persanes de Montesquieu au XVIIIè s., le regard décalé de l’étranger aide à démasquer la société, à dévoiler ses défauts, à la critiquer.

 


13/12/2018
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Texte 3 L'acte cannibale, une barbarie?

LECTURE ANALYTIQUE 2

 

Problématique : Quel regard  pose Montaigne sur les sauvages à partir du récit d’un épisode incontournable de leur vie sociale : l’acte cannibale ?

  1. Un regard étonnant
  • Mise en cause de la vision des Européens sur les indiens : cf remise en question de l’opposition entre société civilisée et barbare. L 27, « ce n’est pas » / « c’est » = Correction + Thèse l.29 . « on » pense ainsi mais c’est l’opinion commune contestée par Montaigne.
  • Vision de Montaigne sur les Européens et sur les Indiens ? neutralité de Montaigne face aux Indiens/ condamnation des Européens l. 47, hyperboles « beaucoup plus grands maîtres qu’eux », et périphrase. l 38 à 41
  • 2 longues phrases complexes pour introduire l’ambiguïté de la comparaison entre Indiens et français (cf guerres de religion). (l.47 à 61)
  • Une forme d’hésitation propre à l’essai (pas de certitude mais une pensée en cours), un essai de réflexion…
  • Contexte des guerres de religions: argument par analogie et opposition; comparaison entre violences indiennes et européennes → on comprend que  Montaigne veut dénoncer les guerres de religion.

Montaigne relativise l’horreur de l’acte cannibale sans pour autant la légitimer. Mais il veut poser un regard objectif, dépassionné.

  1. Un regard objectif et dépassionné

- Une démarche scientifique et rationnelle : Montaigne adopte un raisonnement inductif qui part de l’observation des Indiens pour aboutir à une réflexion plus générale. Mouvement du texte = Récit (l.1 à 26) puis explication (l. 27 à 30).

- Neutralité des récits de combats et même point de vue plutôt admiratif de leur courage : présent de narration, lexique de la guerre puis de la nourriture; vocabulaire évaluatif limité aux combats.

- Formule sa thèse ligne 27 et pose un constat. « Ce n’est pas    c’est pour » , cette correction met en relief une nouvelle vision de l’acte cannibale. Montaigne s’attache à corriger une erreur qu’il dénonce.

Montaigne refuse de réduire les violences des peuples d’Amérique à des actes barbares. Il formule une interprétation socialement et humainement compréhensible. Il inscrit l’acte cannibale dans l’humanité en lui conférant une dimension symbolique et morale.

  1. Un regard humaniste sous l’égide des penseurs antiques

- Montaigne valide sa propre réflexion. Par le recours à Chrysippe et Zénon l. 62 cf stoïcisme, à définir.

- Le cannibalisme n’est pas une idée émanant des seuls Indiens mais elle trouve sa source dans une tradition littéraire. Montaigne multiplie les exemples de cannibalisme:  « nos ancêtres », les Gascons, les médecins…

Grâce à ce procédé, le cannibalisme devient une pratique noble contrairement à la cruauté, la « barbarie » des européens durant leurs guerres. (conflit entre protestants et catholiques, cf Saint-Barthélémy, 24 août 1572)

 

 

Concl°

Point de vue original de Montaigne qui fait preuve d’une grande liberté de pensée. Il  a une démarche d’ethnologue et de sociologue avant l’heure. Car, sans condamner a priori, il nous invite à regarder l’autre avec curiosité et intérêt. Et non rejet et dégoût.

Cette curiosité pour autrui, Montaigne la manifeste également dans sa conception du voyage qu’il développe dans le troisième livre de ses Essais. (III, 9, « De la vanité ») cf texte 1 du GT sur l’altérité.

 

 


13/12/2018
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Texte 1 Le barbare et le sauvage

Problématique générale: Altérité européenne: regarder l’autre, est-ce me découvrir moi?

 

LECTURE ANALYTIQUE 1

 

Extrait 1: Page 20, « Or je trouve …. le dernier »

 

Introduction: (Contexte, Situer l’auteur et l’oeuvre) L’extrait que nous allons commenter est tiré du chapitre 31 du premier livre des Essais de Montaigne qu’il commence à écrire lorsqu’il se retire dans ses terres en 1570 et qu’il publie en 1580. Comme il l’annonce dans sa préface, il sera lui même la matière de son livre; il livre ses réflexions, des anecdotes et procède par « sauts et gambades ». Au début de l’essai 31 sur les « Cannibales », on s’aperçoit que Montaigne tire ses informations d’une expédition qui eut lieu au Brésil en 1557-58 sous la direction de Villegagnon. Ce voyage donnera lieu à deux récits (André Thévet, Les Singularités de la France Antarctique, 1563 et Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre de Brésil, 1578). Avec son habituelle liberté d’esprit, Montaigne commente ce que lui inspirent ces récits de voyageurs. Or, à la fin du XVIè siècle, le monde reste encore partiellement inconnu et la rencontre avec d’autres hommes aux moeurs différentes suscite des interrogations, en particulier la question de savoir s’il s’agit « d’hommes comme nous », c’est-à-dire comme les Européens.

(Présenter l’extrait) Dans ce passage et de manière très novatrice, en son siècle, Montaigne va défendre le sauvage, en proposant une réflexion, devenue célèbre, sur les notions de barbarie et de sauvagerie. 

(Lire l’extrait avec expressivité)

(Reprendre la question posée par le jury, la reformuler comme problématique et fil conducteur de l’analyse proposée)

 

Problématique: Comment Montaigne rend-il sa défense du sauvage convaincante?

 

 Montaigne nous convainc en procédant avec méthode et en s’appuyant sur une démonstration.

 

  1. Il remet en cause le sens habituel donné aux termes « barbare » et « sauvage »

 

  1. Dénonciation d’un point de vue autocentré
  • Montaigne se fonde sur une analyse lexicale du sens des mots, en particulier du mot « sauvage ». Il formule sa thèse dès le début de notre extrait, exprimant un jugement avec le verbe « je trouve » (l.1), à la première personne. Il réfute l’emploi des mots « barbare » et « sauvage » pour qualifier les Amérindiens. En effet, il s’oppose à l’usage commun de ces mots qui signifient pour la plupart de nous: « cruel » ou encore « grossier, sans raffinement ». 
  • Or, ce sens découle d’un point de vue ethnocentrique qu’il dénonce à la ligne 5 « ce qui n’est pas de son usage »,  et aux lignes 7,8 « l’exemple et l’idée des opinions et des usages du pays où nous sommes. » Le substantif « usage » est répété avec le déterminant possessif « son » une première fois puis le complément du nom « du pays où nous sommes », pour souligner la source subjective et autocentrée de nos jugements. Dans ce raisonnement, Montaigne oppose subtilement « vérité » et « raison » (l. 6, 7), deux notions fortes, absolues, qu’il oppose à « opinions » et « exemple », deux termes qui désignent, au contraire, des éléments ponctuels et précis. 
  • Enfin, Montaigne se moque du jugement européen lorsqu’il emploie la répétition qui révèle un procédé ironique « la religion parfaite, la police parfaite, l’usage parfait » (l. 9,10) pour dénoncer la subjectivité de nos jugements et nos prétentions à imposer notre modèle, supposé parfait, aux autres.

 

B) Puis Montaigne inverse la valeur sémantique du mot « sauvage »

  • Pour cela, Montaigne recourt à un argument par analogie comme le montre le connecteur « de même que » (l.11) → 1ère définition: est sauvage, ce qui est à l’état de nature, ce qui n’a pas été modifié par l ‘action de l’homme , ligne 11,12.
  • redéfinition ensuite avec inversion du caractère péjoratif: la nature est valorisée, l’artifice est dévalorisé. Le vocabulaire péjoratif « altérés », « détournés de l’ordre commun » (l.14,15)… témoigne du regard négatif, de la condamnation du travail humain.
  • De plus, le modalisateur de certitude « à la vérité » (l.13) affirme avec force sa thèse. Et la précaution « à ce qu’on m’en a rapporté » (l.3), par référence à la source, (ie le récit des voyageurs), prouve son honnêteté intellectuelle, sa démarche rationnelle. L’énonciateur inspire confiance.
  • Enfin, Montaigne propose une nouvelle définition au conditionnel « que nous devrions plutôt» (l.16) appeler sauvage. En inversant la valeur dépréciative du mot, Montaigne propose ainsi un autre emploi de « sauvage ».

 

Ce serait donc une faute de qualifier les Indiens de sauvages ou de barbares car ces termes sont péjoratifs; les Indiens sont simplement « naturels ». Mais cette argumentation lexicale veut prouver surtout que cette erreur provient d’une mauvaise perception des choses due à la déformation d’un point de vue ethnocentré qui a oublié la prééminence de la nature.

 

2) C’est pourquoi Montaigne développe un éloge de la nature, supérieure à la culture

 

A) La nature est abîmée par la civilisation blâme de la culture 

  • Selon Montaigne la culture, c’est-à-dire la civilisation aurait un effet négatif sur la nature. Or ce point de vue est original à la Renaissance car il va à l‘encontre des valeurs humanistes des Européens qui considèrent alors largement que la civilisation est ce qu’il y a de meilleur. Montaigne dénonce la corruption, la détérioration qu’exerce la culture, les hommes, sur la nature. Exemple des fruits, argument par analogie, : relever le lexique péjoratif « altérés » 14, « détournés » 15, « abâtardie » 20, « accommodées », 21, « corrompue » 22.
  • De plus, la condamnation est morale: cf notion de pureté // honte, l. 31, « nos entreprises vaines et frivoles » l.32
  • Et la nature, par opposition, est, elle, qualifiée extrêmement positivement: allégorie « grande et puissante mère nature » + adj possessif « notre » l. 26, valeur affective et généralisante. En défendant la nature, Montaigne se livre à un éloge du sauvage.

B)   L’éloge du naturel: la défense du sauvage

  • A l’inverse de la culture, tout ce qui est naturel est qualifié positivement par Montaigne: relever les termes mélioratifs, noms et adjectifs appréciatifs: « délicatesse », « excellente », « beauté », « richesse », « pureté reluit », « plus grande », « plus belle »; l’allitérations en v, « vives, vigoureuses, vrais » … Montaigne n’affecte que des valeurs positives à la nature. Puis il recourt aux Anciens pour confirmer son point de vue.
  • Supériorité des Anciens pour les hommes de la Renaissance: cf l. 33 à 36, citation latine de Properce (donnée sans référence directe à son auteur et traduite en français dans notre édition modernisée de Montaigne),  elle fonctionne comme un argument d’autorité + la citation de Platon rapportée par Montaigne, l. 41 « dit Platon ». Ces deux citations donnent à la pensée de Montaigne une caution de poids au XVIème siècle où l’Antiquité et les auteurs grecs et latins font autorité.

 

Conclusion: 

(Synthétiser et répondre à la question) Ce texte veut donc démontrer que les Amérindiens ne sont pas des sauvages mais que ce sont les Européens qui devraient être qualifiés ainsi. Montaigne rend son argumentation convaincante (reprendre les mots clés de la question) en développant une démonstration rigoureuse, fondée sur l’analyse lexicale, en s’appuyant sur l’idée que la nature est supérieure à la culture et en appliquant l’analogie: comme les fruits sauvages délicieux, les Indiens sont meilleurs que nous car non « abâtardis ». 

(Ouvrir la réflexion) A travers la défense de ceux qu’on appelle « sauvages », n’est-ce pas aussi une critique du modèle humaniste qui semble faite ici?

(2ème ouverture possible) Malgré la subtilité de sa rhétorique, l’argumentation de Montaigne n’est pas sans failles car elle repose sur le postulat, (non démontré donc), de la supériorité des productions de la nature sur les actions humaines.

 

 


13/12/2018
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