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O.I Poésie RIMBAUD


Présentation et contextualisation du DSV

Une page à exploiter


25/10/2018
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Lecture analytique de "Roman"

Lecture analytique de « Roman » d’Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, Poésies, 1870

 

Introduction (situer, contextualiser, présenter l’auteur et le texte)

 

Poète majeur de la seconde moitié du XIXème siècle, Rimbaud nous surprend encore aujourd'hui par son talent précoce puisque le poème que nous allons lire a été écrit lorsqu’il avait 16 ans. Mais il nous intrigue aussi par l’arrêt brutal de sa production poétique quatre ans plus tard. Issu des « Cahiers de Douai » que l’on peut considérer comme un recueil même si Rimbaud n’a pas souhaité le publier ainsi, « Roman » est un poème de facture encore traditionnelle, écrit en quatrains d’alexandrins à rimes croisées et divisé en quatre parties numérotées, composées chacune de deux strophes. 

 

Lecture expressive du poème

 

Annonce de la problématique et des axes

 

Nous avons au total 32 vers pour composer un petit « roman » narrant la rencontre amoureuse d’un adolescent de dix-sept ans. Rimbaud y évoque de manière lyrique et satirique les émotions amoureuses d’un jeune homme à la fin du printemps. Il observe, avec une mise à distance, les réactions intimes de l’adolescent et s’amuse d'une idylle naissante avec une jeune demoiselle rencontrée. La tonalité humoristique et l’autodérision dont fait preuve le poète justifie le choix de notre problématique. En effet, nous nous demanderons en quoi ce poème peut-il être considéré comme exprimant un lyrisme post-romantique? (Reprise explicite de la question posée)

 

Nous nous intéresserons tout d’abord à l’importance des sensations pour évoquer les lieux et le moment de la rencontre puis nous verrons avec quel humour Rimbaud exprime l’émotion amoureuse d’un jeune homme, figure du poète lui-même. (annonce des deux parties)

 

Analyse pour répondre à la question

 

Construit sur quatre chapitres, le poème se donne à lire comme un petit « roman » organisé en deux parties: les deux premiers chapitres décrivent le cadre du récit, les deux derniers chapitres racontent les péripéties de la rencontre.

 

     1 .    Le contenu narratif du poème s’appuie sur des notations sensorielles pour évoquer les lieux et le moment de la rencontre.

 

♦ Rimbaud insiste tout d’abord sur les circonstances de la rencontre, sur les lieux et le moment. On peut remarquer l’importance accordée au moment: « un beau soir » avec 4 fois « soir », aux vers 2, 5, pour la première rencontre puis aux vers 28 et 29, pour le soir de la victoire et une fois« nuit », vers 13. C’est la fin du printemps, « nuit de juin », c’est-à-dire le moment de l’année où les nuits sont objectivement les plus courtes et où les désirs sont ici subjectivement les plus grands. Rimbaud instaure un lien subtil entre le désir d’aimer de l’adolescent de 17 ans et le moment de la journée ainsi que le moment de l’année. L’omniprésence de la nuit ou du moins de la pénombre dans le poème va ainsi conditionner les perceptions sensorielles et les décupler. 

♦ En effet, la perception visuelle va se trouver limitée. « Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon/ D’azur sombre » v. 9, 10. La portion de ciel aperçue devient métaphoriquement une étoffe et l’étoile qui y brille est une broche « piqué(e) d’une mauvaise étoile ». L’adjectif « mauvaise » ainsi que le substantif « chiffon » se veulent prosaïques et sans ampleur. Le spectacle est rendu au moyen d’oppositions de valeurs: « azur sombre » d’un côté, « étoile … petite et toute blanche » de l’autre. Seuls les « tilleuls » sont qualifiés de « verts » mais s’agit-il vraiment d’une couleur ou plutôt d’une valeur affective liée au printemps, à la jeunesse? 

Puis selon le principe baudelairien des synesthésies, Rimbaud va associer à la perception visuelle une sensation tactile: le scintillement de l’étoile devient « de doux frissons ». Et la sensation tactile est évoquée aussi lorsque « l’air est si doux que l’on ferme la paupière ». On voit que les autres sens sont décuplés par l’obscurité ou par l’aveuglement volontaire du jeune homme qui ferme les yeux pour mieux ressentir les autres sensations.

L’ouïe est alors sollicitée et les notations auditives sont nombreuses: le poète a fui les « cafés tapageurs » et le vent est « chargé des bruits » de « - la ville ». Principal vecteur des sensations, le vent est le support de nouvelles synesthésies car il est non seulement chargé de bruits mais aussi d’odeurs, de « parfums » v. 9,  2 fois, et les « tilleuls sentent bons dans les bons soirs de juin », v. 5. Le pluriel de « parfums » et sa répétition « des parfums de vigne et des parfums de bière » comme l’adjectif « bon » amplifient l’impression de plénitude olfactive et de plaisir sensuel.

♦ Mais Rimbaud va opposer dans cette description deux univers qu’il va affecter de valeurs positives et négatives: la ville et la nature. La cité est lieu du bruit et de la lumière agressive, « cafés tapageurs aux lustres éclatants ». Le rejet est exprimé brutalement par un monosyllabe « foin » qui témoigne bien d’une rupture renforcée par le deuxième tiret au vers 4. Le jeune homme se tourne alors vers la nature « on va sous les tilleuls verts de la promenade » (v. 4) La nature a permis les premiers émois sensuels observés précédemment, elle déclenche aussi l’élan poétique qui transforme le ciel étoilé (3è strophe) et provoque une forme d’ivresse. C’est une nouvelle manière d’apprécier l’environnement grâce aux parfums entêtants des tilleuls qui encadrent le poème de la première à la dernière strophe. On peut ajouter les parfums de « vigne » et de « bière » qui connotent l’ivresse dionysiaque et la libération des instincts par les boissons alcoolisées. Cette ivresse était annoncée par les exclamations et les phrases nominales du vers 13 «  Nuit de juin! Dix-sept ans! » puis un champ lexical qui ne laisse aucun doute « on se laisse griser », « on divague », « la sève est du champagne ». Cette communion avec la nature, grâce aux sensations, permet au poète de sentir bouillonner en lui sa propre sève, que la métaphore transforme en champagne, le vin de la fête et du succès. Ainsi l’ébriété qui le gagne diminue le contrôle de la raison sur le comportement, laisse émerger le désir, ce que suggère la rime « baiser » avec « griser » ainsi que l’opposition à la rime de « tête » et de « bête ».

(Bilan et ransition) 

Cette première description pourrait donc être qualifiée de lyrique par l’expression des sensations et des émotions du jeune homme, par l’expansion de son désir et le rôle de préfiguration d’une apparition féminine de la métaphore du ciel car la fête du corps libéré par les odeurs et par la pénombre a préparé le poète à la rencontre inconsciemment désirée. Mais ce lyrisme n’est pas à lire au premier degré. En effet, c’est avec humour que le poète raconte ses premières émotions amoureuses.

 

      2.    Une mise à distance par l’humour et le refus de l’idéalisation romantique.

 

♦  Le récit de la rencontre amoureuse a été préparé par l’ivresse qui lève les interdits mais surtout par l’imagination qui bat la campagne. Le « mensonge romantique » est suggéré par la référence explicite au genre romanesque. La seconde partie du roman commence par « Le coeur fou Robinsonne à travers les romans », vers 17. Grâce au néologisme « Robinsonne » renvoyant au héros de Defoe mais aussi à d’autres romans « à travers les romans », Rimbaud suggère un vagabondage de l’esprit dans l’univers romanesque lorsqu’il est libéré de la réalité diurne et que la rêverie nocturne peut se déployer grâce à des sensations nouvelles. Le corps bouillonnant et l’esprit divagant sont prêts à la rencontre. La proposition conjonctive temporelle suit immédiatement la robinsonnade « — Lorsque […] /Passe une demoiselle aux petits airs charmants », vers 18, 19. Le déterminant indéfini « une » signale que c’est une une parfaite inconnue certes, mais celle-ci devient aussitôt, dans l’effervescence des réactions physiologiques et l’emballement de l’imagination, l’être attendu. Les adjectifs évaluatifs « petits » et « charmants » ont une valeur affective et donnent à la jeune fille une séduction renforcée par le trottinement de ses « petites bottines » que l’on entend presque grâce à l’allitération en t « Tout en faisant trotter ses petites bottines ». 

Mais cette rencontre est aussitôt contrariée par l’obstacle représenté par « l’ombre du faux-col effrayant de son père ». Ce père est représenté par une synecdoque hyperbolique qui amplifie sa rigidité (faux-col) et sa dangerosité (ombre). L’adjectif « effrayant » quant à lui introduit une hypallage qui affecte au « faux-col » le caractère effrayant qui devrait qualifier normalement le père. Le registre épique qui pointe ici a des accents héroï-comiques. Le jeune homme s’exagère l’obstacle du père. Et c’est la jeune fille qui se retourne bravant l’autorité paternelle. Le jeune homme, lui, reste figé, stupide, muet comme le suggère l’euphémisme « sur vos lèvres alors meurent les cavatines ». L’amour naissant est magnifié par la référence au lyrisme de l’opéra mais l’attitude du jeune homme n’est pas héroïque. Ravi par l’amour, il reste pourtant passif.

 

♦  Car cette rencontre amoureuse est racontée avec une distance ironique qui donne beaucoup de saveur à ce récit. Rimbaud casse les effets dus à son emportement romantique. Le choix du pronom indéfini « on » ou de la deuxième personne « vous », v. 14, 21, du déterminant possessif « sur vos lèvres »…, témoignent premièrement de la mise à distance du « je » lyrique. Mais le premier vers « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » fonctionne déjà comme un postulat de base répété quasiment comme une morale à la fin. En effet, la lecture est infléchie par le double sens de l’adjectif « sérieux »: il peut signifier que l’adolescence est l’âge des bêtises, des écarts de conduite, des folies mais il peut aussi signifier que le comportement des adolescents ne prête pas à conséquences, qu’il est frivole, léger, sans gravité.

De plus, le spectacle de la nature étudié précédemment ne laisse jamais le lyrisme l’emporter. Le poète hésite entre admiration poétique et correction prosaïque: si le terme « azur » appartient bien à l’univers poétique, la métaphore du « petit chiffon » appartient, elle, à un univers prosaïque; de même la première étoile qui brille, sans doute Vénus, la plus brillante est désignée comme « une mauvaise étoile », « petite ». Enfin le désir qui monte est comparé à une « petite bête », ce qui connote davantage les instincts primaires que les sentiments. La répétition de l’adjectif « petite » aux vers 9, 12, 16, 22 participe sans doute aussi de cette volonté de brider les élans lyriques.

De surcroît, le récit de la rencontre reprend des schémas de comédie où la jeune fille  sait échapper à la surveillance du vieux barbon puisque c’est elle qui, en se retournant, enclenche l’intrigue amoureuse. C’est elle qui le trouve « immensément naïf » et s’avère plus rouée que lui, muet et intimidé, risible même. Elle se moque de ses poèmes, « vos sonnets la font rire » et lui fait parvenir une lettre qui sonne comme un triomphe. Rimbaud place le poète en position d’adorateur comme dans la poésie courtoise « L’adorée, un soir, a daigné vous  écrire ». Mais les rôles et les termes hyperboliques empruntés à la poésie amoureuse traditionnelle contrastent avec le « mauvais goût » dénoncé par ses amis et le succès fêté dans les « cafés éclatants » avec « des bocks ou de la limonade ». Que dire enfin de l’état « Loué jusqu’au mois d’août » où le jeune homme serait en location et donc réservé comme un logement, à moins qu’il ne s’agisse du verbe « louer » au sens de l’éloge? Le poète se moque de lui-même et ne semble pas prendre au sérieux les élans lyriques que suscite sa passion romantique.

 

Conclusion

 

Ce poème serait donc plutôt un anti-roman (ou un roman comique cf Scarron). Le poète reprend le schéma romantique de la rencontre amoureuse dans un locus amoenus, une rencontre vécue comme un coup de foudre, une illumination suivie d’élans poétiques mais pour en faire des clichés qu’il dénonce avec l’humour de l’auto-dérision. Cette mise à distance, non seulement du sentiment amoureux mais aussi de rôles et situations conventionnels dans la littérature, est tout à fait remarquable à son âge. L’amour se résume, dans ce poème, à des réactions physiologiques liées à la nature, au moment, aux sensations, au printemps aphrodisiaque. Quant aux relations amoureuses, il s’agirait d’un jeu conventionnel (cf réalisme) où les garçons ne sont pas les maîtres malgré la pseudo-victoire fêtée à la limonade. (Bilan lecture)

On est donc bien dans un lyrisme post-romantique. Rimbaud est un héritier (classique par la forme) mais un rebelle aussi. La révolte que porte sa parole poétique nous charme par la fraîcheur de l’évocation, la hardiesse des images. Et l’on reste surpris de sa maturité en même temps, exprimée par l’humour du point de vue. (réponse définitive à la question)

Mais ce n’est pas le seul aspect de la modernité de l’écriture poétique de Rimbaud. (ouverture)

 

(Quels sont les autres aspects de sa modernité? expression ou image triviales, ruptures avec tirets, points de suspension, phrases nominales ou inachevées, un seul rejet au vers 10 : explications qu’il faut être capable de donner si questions sur modernité… durant l’entretien.)

 

ou (autre ouverture)

 

 Le talent du poète est présent même dans ses vers de jeunesse, surtout peut-être.

 


05/09/2018
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Lecture analytique de "Les Effarés"

Voici une analyse publiée sur le Web pédagogique. Je l'ai lue, modifiée et complétée parfois. Vous y retrouverez certaines de nos interrogations, de nos commentaires et interprétations de vendredi. Je vous donne le lien vers l'article sur le web pour information. Votre travail d'analyse de vendredi était de qualité. Il se trouvera complété et ordonné dans ce travail d'enseignant partagé sur le Web. Bonne lecture.

 

http://lewebpedagogique.com/az1955/2011/06/12/les-effares-rimbaud/

 

« Les Effarés », Rimbaud

Eléments pour l’introduction :

  • Poème extrait du recueil de Douai.
  • Poème qui rappelle le roman de V. Hugo Les Misérables et ses personnages enfantins, Cosette et Gavroche, victimes innocentes de la misère et des hommes
  • Sujet : Une scène de rue : cinq petits enfants affamés seuls dans la rue une nuit d’hiver, cinq petits enfants fascinés qui regardent travailler un boulanger par un soupirail.
  • Contexte biographique:Rimbaud, poète précoce, poème écrit par un adolescent de 16 ans qui est en fugue à Paris
  • Contexte historique : II ème Empire. Paris, En juillet1870, Napoléon III entreprend contre la Prusse une guerre mal préparée, qui le conduit rapidement à la défaite et la perte de l’Alsace- Lorraine. Le 4 septembre 1870 à la suite d’une journée d’émeute parisienne, l’Empire est renversé. Paris est assiégé et connaît une grave famine au cours de l’hiver 1870. Le poème est composé le 20 septembre 1870, 15 jours plus tard.
  • Problématique(s) : Quel est le regard du poète sur cette scène ?

Autres problématiques possibles: Dans quelle mesure ce poème est-il un poème engagé ?

Comment le poète peint-il cette scène quotidienne ?

Dans quelle mesure ce poème est-il symbolique ?

Comment la vision de Rimbaud se fait-elle dénonciatrice ?

 

 

I/ Le tableau ambigu d’une scène de rue :

 

a) Une description marquée par l’immobilité : une vision faite de couleurs et de parfums.

  • Un tableau statique : Un lieu et un temps qui connotent l’immobilité et le silence : l’hiver (v.36 « hiver », v.1 « neige»), la nuit, « noirs » (v.1), « pendant que minuit sonne » (v.16 )
  • Des personnages stéréotypés : « le boulanger » (v.5  et 11) :un adulte “fort”: il est l’autorité, celui qui possède le pouvoir. Face à l’adulte, on a l’enfance. Un groupe de petits enfants démunis et abandonnés à eux-mêmes, agglutinés tel un essaim : « cinq petits » (v.4), « les pauvres petits » (v.26) habillés de « haillons », de guenilles. Image de la fragilité et la vulnérabilité de ces enfants qui sont “blottis” (v. 13), comme des oisillons serrés les uns contre les autres. Ils sont immobiles: “Pas un ne bouge” (v.13)
  • Une description enrichie de sensations foisonnantes :

Sensations visuelles : Abondance de couleurs contrastées : Contraste entre le noir (v.1), qui renvoie à la nuit, et le blanc de la neige. Antithèse: « Noirs dans la neige » (v.1) qui renforce cette opposition.  Autres couleurs chaudes : celles du pain «blond », doré, ou « jaune » (v.17), celle du soupirail «rouge» (v.14), celle enfin des « petits museaux roses » des enfants (v.28) : ce sont les couleurs de la vie. A l’opposé, absence de couleur, celle du « fort bras blanc » (v.7) du boulanger, celle du « lange blanc » des enfants (v.35), celle ambiguë de la « pâte grise » du pain (v.7). Ce poème est comme un tableau vivant.

Sensations auditives : Les enfants « écoutent le bon pain cuire » (v.10), un pain dont la croûte crépite sous la chaleur, qui vit. Cette métaphore est reprise lorsque le poète évoque « les croûtes parfumées » qui « chantent » (v.20). Comme dans un choeur à plusieurs voix, ils entendent également le boulanger qui « chante un vieil air » (v.12) et les « grillons » qui eux aussi «chantent » (v.20). Cette musique crée une ambiance douce et joyeuse, rassurante, celle d’un foyer (de la maison, familial) chaleureux dont le grillon est le symbole.

Sensations gustatives: celle du « bon »pain qui cuit, croustille (v.10), « pétillant ». Les sensations se mélangent, sons, couleurs et sensations gustatives sont mêlées.

  • Une poésie des choses simples de registre réaliste.

Des enfants et un boulanger, des enfants et un adulte.

L’habillement des enfants pauvres : les « haillons » (v.24)

Un objet du quotidien : le pain

Un cadre domestique ordinaire : une fenêtre, le four, les poutres, les grillons

Une langue familière : « leurs culs en rond » (v.3), « cinq petits » (ellipse du mot « enfants ») (v. 4), l’interjection « misère ! », les « museaux roses », expression et image populaires qui désignent le visage des enfants (v.28)

b) Perspective du tableau  et lignes de forces qui annoncent une scène troublante :

Derrière ce tableau rassurant, certains indices troublent le lecteur:

Contrastes: Le tableau est construit sur un contraste marquant, celui du dehors et du dedans . Dans cette description, le regard va de l’extérieur vers l’intérieur. Ainsi, les enfants sont dehors, dans la rue et le froid. Le boulanger au contraire est dedans, dans le sous-sol et au chaud : cela ne peut que troubler le lecteur, crée un malaise : les enfants ne devraient pas être dehors dans le froid.

La séparation entre deux mondes: Entre les deux mondes, une frontière infranchissable matérialisée par le « grillage » (v. 29) qui ferme le soupirail (v.2 et 14) et ses « trous » (v.30). Ce tableau est une vision de ce qui sépare les enfants de ce qu’ils désirent si fort.

Une construction du poème qui reflète ces contrastes et traduit un trouble: Le poète privilégie une versification contrastée et riche qui est propre à susciter des émotions intenses.

  • Le poème est en effet construit sur 12 tercets (strophes de 3 vers).
  • Chaque strophe se compose de 2 octosyllabes (vers de 8 syllabes) suivis d’un quadrisyllabe (vers de 4 syllabes) construction interne irrégulière. Ce déséquilibre est créé par le quadrisyllabe qui suit les deux octosyllabes: la rupture du rythme interne aux tercets traduit un « quelque chose qui ne va pas », un dérèglement de l’ordre des choses, une dysharmonie, une souffrance latente dans le poème
  • Les rimes suivent le schéma suivant: aabccbddceec: Ce schéma est particulièrement sophistiqué puisque l’on a deux rimes suivies qui encadrent quatre rimes embrassées alternativement. Cela crée un rythme puissant et régulier mais contrasté: ce poème au premier abord paraît très harmonieux, il traduit l’harmonie apparente d’un tableau attendrissant, celui de ces cinq petits enfants qui regardent à travers la grille d’un soupirail. Ce travail sur la forme du poème fait immanquablement penser au mouvement poétique du Parnasse. Rimbaud admire Théodore de Banville, poète précurseur du Parnasse qui a le culte de la beauté : la forme poétique prime. (Rq: Le poète parnassien réagit au lyrisme des Romantiques auxquels il reproche de donner trop d’importance aux sentiments au détriment de la qualité formelle poétique.) L’écriture poétique est comparable au travail du bijoutier , de l’orfèvre qui travaille avec beaucoup de précision et de finesse le bijou. Le poète «cisèle » le vers et la structure du poème. Là s’arrête le lien de Rimbaud avec le Parnasse puisque sa poésie est loin d’être impersonnelle, au contraire… Cet équilibre est rompu par l’impair des tercets: les chiffres impairs sont l’expression du déséquilibre.
  • On retrouve ce déséquilibre dans la syntaxe-même du poème. En effet, la première phrase se développe sur deux tercets, les trois phrases suivantes se déroulent chacune sur un tercet. Mais la dernière phrase du poème démarrant sur l’anaphore de « quand » (v.16, v.19, v.22) se poursuit sur les sept derniers tercets: le rythme s’emballe.
  • Enfin, le lecteur comme les enfants est invité dans le poème par deux octosyllabes qui font écho au vers de la chute du poème d’un mètre différent, dédiés à l’hiver et au froid glacial : à « la neige » et la « brume » répond « le vent d’hiver ». Il s’agit d’une structure en boucle, qui enferme, encadre la scène chaleureuse de la boulangerie, mais signifie que l’important est là, dans le froid glacial et que l’intérieur n’est qu’illusion, mirage: tout est symbole ici.

 

II/ Une poésie symbolique dont l’enjeu est satirique.

a) Une scène allégorique contestataire: Une scène chargée de symboles

  • Le Symbolisme, mouvement poétique : Pour les Symbolistes, le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle, physique, que l’on en a d’abord. Il est un mystère à déchiffrer dans des correspondances : sons, couleurs, visions participent d’une même intuition qui fait du Poète une sorte de mage . Le poète symboliste invite le lecteur à un véritable déchiffrement du monde perceptible:
  • Intérieur symbole du désir: Le contraste que l’on a déjà mentionné ultérieurement met en évidence ce qui fascine les enfants: cet intérieur «chaleureux « comme un sein » (v.15), image de la chaleur maternelle. Le regard des enfants est ainsi aimanté par ce monde souterrain symbolique qui cristallise tous leurs désirs. (idée de convoitise ).
  • Le symbole du foyer: Le foyer est le lieu où brûle le feu. Il s’agit ici du four du boulanger dans lequel il “enfourne” le pain (v. 8). Il est “ce trou chaud (qui) souffle la vie”: il est la chaleur, la vie. Les termes “vie” (v.22) et “vivre” (v. 25) sont la clé de ce symbole. Mais c’est aussi un terme qui désigne la famille, image rassurante, protectrice, chaleureuse. C’est de ce lieu qu’émane un « souffle »,  métaphore de la vie (v. 14) et (v. 22), un souffle “chaud” (v.22 et v. 15) terme repris à deux reprises.
  • Le symbole du pain: Le pain est un symbole fort de la vie. Ce motif apparaît de la strophe 2 à la strophe 7, c’est-à-dire qu’il occupe le centre du poème: il en est le point de mire. Il prend différentes formes dans le poème: le terme “pain” est lui-même repris trois fois dans le poème (v. 2, v. 4 et v. 6) et rime avec le mot “sein”, celui qui pourvoit le lait maternel. Il est un leitmotiv obsessionnel, il dispense l’énergie vitale. On le trouve également sous la forme de la “pâte”(v.8 ) ou des “croûtes”(v. 20) . Enfin, il renvoie à la Bible et à la parabole de la multiplication des pains, ce miracle qu’accomplit Jésus lorsqu’il nourrit une foule de quelques 5000 personnes avec 5 pains qu’il multiplia et partagea entre tous. (Motif du pain courant en littérature: cf. Dans Germinal de Zola, scène de la Maheude qui va chez les Grégoire mendier de la nourriture: gros plan sur le morceau de brioche tout chaud; scène des grévistes qui réclament “Du pain! Du pain!”, etc.)
  • Le symbole du boulanger: Emploi d’un article défini de valeur générale : il renvoie à tous les boulangers. Dans une autre version du poème, le poète l’a orthographié « le Boulanger » : il représente symboliquement celui qui fait le pain ; Référence biblique à Dieu, rappelons que le fils de Dieu, Jésus, multiplie les pains miraculeusement. Le boulanger est déifié par les enfants qui le regardent par le soupirail. Un magicien qui transforme la “pâte grise” en un miraculeux “pain blond”, mais aussi celui “qui chante un vieil air” comme s’il voulait exercer un charme: il est le tentateur, un manipulateur. Il charme les enfants, mais ne donne rien. Ce personnage a quelque chose de démoniaque: il a un “gras sourire”, celui de ceux qui ont tout et qui ne partage pas. Cette connotation est sans doute l’expression d’une critique de la bourgeoisie qui tient les rênes du pouvoir sous Napoléon III et dont Rimbaud dénonce l’attitude peu glorieuse pendant la guerre franco-prussienne. Son “bras” est “fort”: il représente ainsi le pouvoir en place.
  • Le symbole du soupirail qui ouvre sur le sous-sol: Le sous-sol est l’image inversée du ciel. Le ciel est dans les religions chrétiennes le symbole du Paradis, domaine de Dieu, et le sous-sol celui de l’Enfer, résidence de Satan. Le soupirail ouvre donc sur un lieu infernal, et ses tentations, contrairement aux apparences. L’image du sous-sol, cette cave, cette excavation, ce “trou”creusé sous terre, se double de celle du four comparé à un “trou clair” (v. 9) Les flammes du four connotent les flammes de l’Enfer. La couleur infernale qu’est le rouge , celle du”soupirail rouge” ‘v.14) est significative.

b) La présence du poète qui livre implicitement ses pensées sur le spectacle auquel il assiste :

  • Le poète qui est un poète-narrateur ou plus exactement ici, un poète-spectateur, intervient subjectivement dans le poème et livre des pensées, ses sentiments bien que la première personne « je » soit absente. Ces marques de subjectivité sont matérialisées par une ponctuation expressive, des tirets « —misère !— » (v. 4) , ou des points de suspension riches de non-dits et nombreux dans le poème, « Le lourd pain blond … », « comme une prière… » (v.31). L’émotion du poète est discrète mais sensible.
  • Registre pathétique: « cinq petits », « les pauvres petits»: vocabulaire axiologique, accent mis sur la vulnérabilité des enfants, leur jeune âge et leur grande pauvreté, leur abandon.
  • Registre satirique: Que dénonce Rimbaud par l’ironie? La faim: Le désir des enfants ne sera pas assouvi, c’est ce que dénonce Rimbaud: la tension qui naît entre ce que l’on veut plus que tout et que l’on n’aura pas est intolérable quand il s’agit d’enfants misérables. Il est pour les enfants une torture, un supplice. L’abandon: Ces enfants abandonnés à eux-mêmes dans le froid de l’hiver n’ont plus de mère qui puisse les réconforter, ils n’ont pas de foyer ni de chaleur. Rimbaud dénonce ici la misère de ces enfants abandonnés. Cela renvoie aux souffrances intolérables qu’ont vécu les Parisiens abandonnés par le gouvernement pendant le siège de Paris cernée par les Prussiens et affamés. Regard critique de Rimbaud  sur le pouvoir , celui qui préside à la destinée de chacun: il s’agit du boulanger, celui qui détient le pouvoir de donner du pain, l’homme au “fort bras blanc” (v.7). Ce pouvoir était détenu par Napoléon III qui vient de tomber, c’est-à-dire par le second Empire et la bourgeoisie qui l’a soutenu. Regard critique sur la religion embourgeoisée: La religion ne sera d’aucun secours pour ces petits enfants affamés. Le regard de Rimbaud est ironique. Présence d’un réseau lexical de la religion que constituent les termes et expressions “à genoux” (v.4), “prière” (v. 31), l’”âme” (v. 23) , la “lumière”, lumière divine et le “ciel” (v.32-v.33) qui renvoient à Dieu. Enfin, si “minuit sonne” (v. 16), c’est qu’il y a une église, son clocher et une cloche qui sonne l’heure… Le thème de la religion est présent dans la manière dont les enfants vivent la scène à laquelle ils assistent. Ils sont transfigurés, cette “lumière” qui se lit sur leur visage est la lumière divine. Ils ont un air “ravi” (v. 23) , étymologiquement, transporté, élevé. La lumière qui semble les habiter vient du soupirail lui-même. Les enfants sont subjugués par cette lumière. “Ils se ressentent si bien vivre” (v. 25) comme par miracle: là réside l’ironie de la scène. En effet, il y a un décalage éclatant entre la réalité, la misère des enfants, et ce bonheur affiché sur leur visage illuminé: la religion est taxée d’hypocrisie, elle est fausse, trompeuse. Rimbaud exècre la religion bourgeoise. cf. les poèmes intitulés “Les Pauvres à l’Eglise” ou “Les premières communions”. Terrible ironie du poète qui compare la supplique de ces pauvres enfants affamés mendiant du pain à un chant harmonieux qu’ils “chantent (…) bien bas, comme une prière”, une prière à laquelle personne ne répondra, aucun de ces bourgeois aux “bons sentiments” n’écoutera cette supplique. Rimbaud critique aussi le regard de ceux qui ne lisent dans cette scène qu’une tendresse qu’il juge déplacée, les bourgeois bien-pensant qui sont plein d’affectation refusent de voir la vérité. L’ignorance: Rimbaud dénonce aussi les naïfs et leur aveuglement. Les enfants chantent« si fort, qu’ils crèvent leur culotte » : le superlatif « si » est un modalisateur qui permet d’insister sur le décalage créé par ces enfants qui chantent naïvement et avec avidité pour avoir du pain. Cette scène en apparence insouciante fait au contraire ressortir toute la cruauté qu’il y a dans la vie de ces enfants si misérable que leur pantalon est en lambeau, en « haillons ». Ceux qui se laissent fasciner par les discours trompeurs, sans réflexion, les naïfs, ce sont eux les “effarés”. La vérité se trouve dans les “haillons” de ces enfants misérables dont la “culotte”, le pantalon est “crevé”, déchiré, en lambeaux, signe de grande misère, laissant voir “leur lange blanc”, linge de nourrisson immaculé, métaphore de leur innocence, mais aussi de leur absence de réflexion, lange que le vent glacial d’hiver transperce: leur innocence et leur ignorance est payée par la souffrance. Enfin, le titre lui-même annonce le caractère satirique du poème, déstabilisant le lecteur qui le lit pour la première fois. Etymologiquement, le mot “effaré” dérive de la racine latine “fera” qui désigne la bête sauvage. Les “Effarés” sont des êtres effrayés, apeurés, qui retournent à l’état sauvage. Cette idée est exprimée dans la manière dont le poète décrit les enfants, “leurs culs en rond” (v. 3), et “leurs petits museaux roses” (v. 28): ils ravalent ces petits miséreux à l’état d’ animaux affamés et sauvage. La révolte gronde sous le regard plein de sarcasme (moquerie ironique, une raillerie tournant en dérision une personne ou une situation, de façon méchante, cruelle) de Rimbaud.

 

Conclusion:

  • Réponse à la problématique posée: Rimbaud pose un regard compatissant certes mais aussi ironique, polémique et accusateur.
  • La souffrance, la misère conduisent à l’explosion des instincts primaires. Personne n’est épargné.
  • Ouvertures (plusieurs possibilités): L’enfance, un thème cher au XIXè siècle. Une forme traditionnelle certes, mais extrêmement travaillée, parnassienne. Un poème symboliste: poème à la croisée de plusieurs mouvements poétiques qui porte en germe les révoltes d’un poète, traduites par  le dérèglement des règles de la poésie traditionnelle. Un poète spectateur, un poème engagé lourd d’indignation et de révolte exprimées par le sarcasme.

 

©2011Miscellanées

Un Martyr ou Le Petit marchand de violettes de Fernand PELEZ (1843-1913)

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02/09/2018
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Lecture analytique de "Sensation"

 

 

La question posée est la suivante: Comment s’exprime dans ce poème le rêve de bonheur du poète?

 

 

 

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

 

                      Mars 1870.            Arthur Rimbaud

 

 

 

 

INTRODUCTION

Introduire le texte et la question : « Sensation » est un poème de huit alexandrins divisés en deux quatrains. Issu des « Cahiers de Douai », c’est donc l’un des tout premiers poèmes de Rimbaud au début du cahier avec  "Les reparties de Nina" ou " Ophélie ".

 

Poèmes souvent datés de 1870, les poèmes des « Cahiers de Douai », (aussi appelés « Recueil Demeny » car Rimbaud les avaient recopiés pour les adresser à ce poète,) composent un ensemble de 22 poèmes parmi les plus connus du grand public. 1870, c’est l’année de la guerre franco-prussienne et aussi de la Commune de Paris mais, pour Rimbaud, c’est surtout l’année des premières fugues, celui de l’envol définitif du poète, « l’homme aux semelles de vent », comme l’appelait Verlaine. Rimbaud n’a alors que 16 ans mais il « s’est reconnu poète »! 

 

Le poème « Sensation » évoque un rêve de bonheur, un désir de liberté qui s’exprime avec lyrisme et sensualité.

 

 

LECTURE EXPRESSIVE à voix haute

 

 

RAPPEL DE LA QUESTION:  Nous nous interrogerons sur la manière dont le poète exprime dans ce poème un rêve de bonheur.

 

DEVELOPPEMENT:  (transition) Annonce des étapes de la réponse

 

  1. Le bonheur dans la nature
  2. Un rêve de liberté
  3. Un lyrisme personnel, un nouveau sentier poétique

 

 

 

LE BONHEUR DANS LA NATURE

 

Le cadre spatio-temporel évoqué est le lieu du bonheur : 

  • une nature magnifiée : description valorisante , « soirs bleus d’été » ,« les sentiers », « les blés », « l’herbe », « le vent », « par la Nature », « heureux », les assonances claires « é/è », la musique des voyelles « a é i eu ou u »; les sensations agréables, le toucher « picoté », « fouler l’herbe menue », « sentirai la fraîcheur », « le vent baigner ma tête nue », la vue = la nuit claire « soirs bleus ». Commenter les sonorités: p/k/t, p/l/b; f/l/l/m/n; s/t/r/l/f/r/ch/r, harmonie imitative. Pure sensation: pas de mots, pas de pensées (v.5)
  • une nature personnifiée: les blés picotent le poète, le vent baigne sa tête, l’herbe est menue; majuscule à « « Nature, comparaison « comme avec une femme ».
  • une nature infinie : amplification avec le pluriel « les sentiers » + l’adverbe de lieu, répété « loin » souligné par l’adverbe intensif « bien », allongé lui-même par la diérèse « bi-ien ». Enfin, la comparaison avec « bohémien », le peuple du voyage, celui qui est toujours sur les routes évoque bien le désir d’un espace sans limite.

Car ce poème exprime aussi un rêve de liberté.

 

 

 

UN RÊVE DE LIBERTE

 

Ce rêve s’incarne dans le départ et l’action de marcher :

  • la volonté de partir, un rêve d’émancipation : verbe d’action « aller », le futur « j’irai », l’indicatif= mode de la certitude; répétition dans les deux strophes (v. 1 et 7). L’image du marcheur: « à mes pieds » et du dépouillement « comme un bohémien »
  • la liberté rêvée est totale : exprimée dans les pluriels qui amplifient le désir et l’espace: «les soirs », « les sentiers », « les blés ». Aucun obstacle n’entrave la marche du poète seul dans la nature.
  • du cadre réel vers le cadre rêvé: le mouvement du poème nous emmène du monde naturel, végétal décrit dans la première strophe au cadre rêvé introduit dès le 3è vers et développé dans la deuxième strophe avec le mouvement ascendant de la métaphore « l’amour infini me montera dans l’âme ». L’adjectif « infini » amplifie ce rêve fou illimité du Moi poétique, d’une « âme » qui s’envole. Les allitérations sensuelles et douces des bilabiales « m » accompagnent cette image qui s’enrichit des comparaisons avec le « bohémien » et la « femme », mot rimant avec « âme ».

Mais ce rêve révèle peut-être davantage la passion pour la poésie qu’éprouve alors l’adolescent Rimbaud.

 

 

 

UN RÊVE EXPRIME DANS UN LYRISME RIMBALDIEN

 

En effet, on peut lire aussi ce poème comme une déclaration d’amour pour la poésie qui porte alors tous les espoirs du poète.

  • des vers solitaires: on est frappé par la solitude du Moi poétique, seul dans la Nature accueillante et aimante/ amante. L’étude de l’énonciation nous montre un « je » qui ne s’adresse à personne. Les vers qu’écrit le jeune poète semblent un rêve adressé à lui-même. C’est l’intensité sensorielle de la Nature qui va provoquer l’éclosion de l’amour (v. 5 et 6) mais cet amour n’est adressé à personne, c’est un sentiment pur, sans objet, sans parole ni pensée.
  • des vers libérés des contraintes formelles: la forme du poème est libre, c’est un poème court, le plus court des « Cahiers de Douai ». Les alexandrins ont un rythme souvent brisé, comme ce « Rêveur » à l’attaque du 3è vers, épithète détachée et mise en relief, comme une clé de lecture. Les trimètres dominent et aucun vers ne peut être scandé en tétramètre régulier (3+3+3+3). Le poète de 16 ans explore de nouveaux sentiers poétiques comme il s’affranchit des contraintes sociales. 
  • des sensations et des sentiments: on peut lire aussi ce poème comme un dyptique, ou la première strophe décrirait le monde réel, celui des sensations, tandis que la seconde serait le monde rêvé, idéal ou s’exprime le langage de l’âme. C’est donc un poème symboliste, lu de cette manière.

La nouveauté du lyrisme rimbaldien consiste ainsi à décrire les sensations plutôt que les sentiments en utilisant les ressources des images et de la prosodie: d’une manière très charnelle, le contact désiré avec la nature féminisée suscite alors un sentiment d’amour mais sans aucun objet.

 

CONCLUSION:

 

Répondre à la question posée : Nous venons de montrer que le jeune poète exprime effectivement dans ces quelques vers un rêve de bonheur qu’on pourrait dire, à première vue, hérité du Romantisme. Mais on découvre ensuite que Rimbaud renouvelle le lyrisme romantique en privilégiant la « sensation », titre du poème, et en faisant du sentiment amoureux un mouvement de l’âme vers un idéal « infini » sans l’associer à une personne. 

C’est donc surtout l’élan du poète que nous retiendrons, le rêve de bonheur de Rimbaud. C’est ce désir de liberté que nous retrouverons plus tard dans le poème « Ma Bohème » mais aussi dans la thématique du voyage conçu comme errance sans fin que l’on peut lire dans « Rêvé pour l’hiver » par exemple  ou encore dans le magnifique « Bateau ivre »:

 

« Ô que ma quille éclate! Ô que j’aille à la mer! »

 

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31/08/2018
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Opération: Adopte un poème !

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22/08/2018
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