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Lecture analytique de "Sensation"

 

 

La question posée est la suivante: Comment s’exprime dans ce poème le rêve de bonheur du poète?

 

 

 

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

 

                      Mars 1870.            Arthur Rimbaud

 

 

 

 

INTRODUCTION

Introduire le texte et la question : « Sensation » est un poème de huit alexandrins divisés en deux quatrains. Issu des « Cahiers de Douai », c’est donc l’un des tout premiers poèmes de Rimbaud au début du cahier avec  "Les reparties de Nina" ou " Ophélie ".

 

Poèmes souvent datés de 1870, les poèmes des « Cahiers de Douai », (aussi appelés « Recueil Demeny » car Rimbaud les avaient recopiés pour les adresser à ce poète,) composent un ensemble de 22 poèmes parmi les plus connus du grand public. 1870, c’est l’année de la guerre franco-prussienne et aussi de la Commune de Paris mais, pour Rimbaud, c’est surtout l’année des premières fugues, celui de l’envol définitif du poète, « l’homme aux semelles de vent », comme l’appelait Verlaine. Rimbaud n’a alors que 16 ans mais il « s’est reconnu poète »! 

 

Le poème « Sensation » évoque un rêve de bonheur, un désir de liberté qui s’exprime avec lyrisme et sensualité.

 

 

LECTURE EXPRESSIVE à voix haute

 

 

RAPPEL DE LA QUESTION:  Nous nous interrogerons sur la manière dont le poète exprime dans ce poème un rêve de bonheur.

 

DEVELOPPEMENT:  (transition) Annonce des étapes de la réponse

 

  1. Le bonheur dans la nature
  2. Un rêve de liberté
  3. Un lyrisme personnel, un nouveau sentier poétique

 

 

 

LE BONHEUR DANS LA NATURE

 

Le cadre spatio-temporel évoqué est le lieu du bonheur : 

  • une nature magnifiée : description valorisante , « soirs bleus d’été » ,« les sentiers », « les blés », « l’herbe », « le vent », « par la Nature », « heureux », les assonances claires « é/è », la musique des voyelles « a é i eu ou u »; les sensations agréables, le toucher « picoté », « fouler l’herbe menue », « sentirai la fraîcheur », « le vent baigner ma tête nue », la vue = la nuit claire « soirs bleus ». Commenter les sonorités: p/k/t, p/l/b; f/l/l/m/n; s/t/r/l/f/r/ch/r, harmonie imitative. Pure sensation: pas de mots, pas de pensées (v.5)
  • une nature personnifiée: les blés picotent le poète, le vent baigne sa tête, l’herbe est menue; majuscule à « « Nature, comparaison « comme avec une femme ».
  • une nature infinie : amplification avec le pluriel « les sentiers » + l’adverbe de lieu, répété « loin » souligné par l’adverbe intensif « bien », allongé lui-même par la diérèse « bi-ien ». Enfin, la comparaison avec « bohémien », le peuple du voyage, celui qui est toujours sur les routes évoque bien le désir d’un espace sans limite.

Car ce poème exprime aussi un rêve de liberté.

 

 

 

UN RÊVE DE LIBERTE

 

Ce rêve s’incarne dans le départ et l’action de marcher :

  • la volonté de partir, un rêve d’émancipation : verbe d’action « aller », le futur « j’irai », l’indicatif= mode de la certitude; répétition dans les deux strophes (v. 1 et 7). L’image du marcheur: « à mes pieds » et du dépouillement « comme un bohémien »
  • la liberté rêvée est totale : exprimée dans les pluriels qui amplifient le désir et l’espace: «les soirs », « les sentiers », « les blés ». Aucun obstacle n’entrave la marche du poète seul dans la nature.
  • du cadre réel vers le cadre rêvé: le mouvement du poème nous emmène du monde naturel, végétal décrit dans la première strophe au cadre rêvé introduit dès le 3è vers et développé dans la deuxième strophe avec le mouvement ascendant de la métaphore « l’amour infini me montera dans l’âme ». L’adjectif « infini » amplifie ce rêve fou illimité du Moi poétique, d’une « âme » qui s’envole. Les allitérations sensuelles et douces des bilabiales « m » accompagnent cette image qui s’enrichit des comparaisons avec le « bohémien » et la « femme », mot rimant avec « âme ».

Mais ce rêve révèle peut-être davantage la passion pour la poésie qu’éprouve alors l’adolescent Rimbaud.

 

 

 

UN RÊVE EXPRIME DANS UN LYRISME RIMBALDIEN

 

En effet, on peut lire aussi ce poème comme une déclaration d’amour pour la poésie qui porte alors tous les espoirs du poète.

  • des vers solitaires: on est frappé par la solitude du Moi poétique, seul dans la Nature accueillante et aimante/ amante. L’étude de l’énonciation nous montre un « je » qui ne s’adresse à personne. Les vers qu’écrit le jeune poète semblent un rêve adressé à lui-même. C’est l’intensité sensorielle de la Nature qui va provoquer l’éclosion de l’amour (v. 5 et 6) mais cet amour n’est adressé à personne, c’est un sentiment pur, sans objet, sans parole ni pensée.
  • des vers libérés des contraintes formelles: la forme du poème est libre, c’est un poème court, le plus court des « Cahiers de Douai ». Les alexandrins ont un rythme souvent brisé, comme ce « Rêveur » à l’attaque du 3è vers, épithète détachée et mise en relief, comme une clé de lecture. Les trimètres dominent et aucun vers ne peut être scandé en tétramètre régulier (3+3+3+3). Le poète de 16 ans explore de nouveaux sentiers poétiques comme il s’affranchit des contraintes sociales. 
  • des sensations et des sentiments: on peut lire aussi ce poème comme un dyptique, ou la première strophe décrirait le monde réel, celui des sensations, tandis que la seconde serait le monde rêvé, idéal ou s’exprime le langage de l’âme. C’est donc un poème symboliste, lu de cette manière.

La nouveauté du lyrisme rimbaldien consiste ainsi à décrire les sensations plutôt que les sentiments en utilisant les ressources des images et de la prosodie: d’une manière très charnelle, le contact désiré avec la nature féminisée suscite alors un sentiment d’amour mais sans aucun objet.

 

CONCLUSION:

 

Répondre à la question posée : Nous venons de montrer que le jeune poète exprime effectivement dans ces quelques vers un rêve de bonheur qu’on pourrait dire, à première vue, hérité du Romantisme. Mais on découvre ensuite que Rimbaud renouvelle le lyrisme romantique en privilégiant la « sensation », titre du poème, et en faisant du sentiment amoureux un mouvement de l’âme vers un idéal « infini » sans l’associer à une personne. 

C’est donc surtout l’élan du poète que nous retiendrons, le rêve de bonheur de Rimbaud. C’est ce désir de liberté que nous retrouverons plus tard dans le poème « Ma Bohème » mais aussi dans la thématique du voyage conçu comme errance sans fin que l’on peut lire dans « Rêvé pour l’hiver » par exemple  ou encore dans le magnifique « Bateau ivre »:

 

« Ô que ma quille éclate! Ô que j’aille à la mer! »

 

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31/08/2018
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