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Lecture analytique 1 DSV

LECTURES ANALYTIQUES                       Discours de la Servitude Volontaire,  LA BOETIE

 

 

TEXTE 1

 

Introduction:

         Etienne de La Boétie est surtout connu pour son amitié avec Montaigne que celui-ci évoque au chapitre 28 du Premier Livre des Essais. Il n’a pourtant que 18 ans ou peut-être 16 aux dires de Montaigne lorsqu’il écrit le Discours de la servitude volontaire, remarquable ouvrage qui a eu un sort mouvementé. Publié pour la première fois par le camp protestant en 1574 sous la forme d’extraits piratés, il n’avait pas été publié par Montaigne lorsque ce dernier a édité en 1570 l’oeuvre complète de son ami. On sait pourtant que c’est en lisant ce discours que Montaigne a voulu connaître l’auteur et qu’ainsi est née leur amitié. La Boétie analyse dans ce discours le mécanisme du pouvoir et plus particulièrement de la tyrannie. La modernité de la pensée, son actualité est telle qu’il n’a jamais manqué ni d’admirateurs, ni d’interprétation, ni de rééditions.

       L’extrait que nous étudions constitue l’ouverture du discours, un exorde qui commence par une citation d’Homère, référence aux Anciens oblige. La Boétie cite l’Ulysse d’Homère mais commente, corrige même aussitôt les propos d’Ulysse. Cet esprit critique dès l’ouverture peut surprendre mais nous verrons que ce n’est que le début d’un texte à la pensée plutôt subversive.

        C’est pourquoi, nous nous demanderons comment La Boétie suscite-t-il notre intérêt pour la réflexion qu’il s’apprête à développer.

 

Nous verrons que La Boétie

  1. emprunte tout d’abord la forme oratoire du discours.
  2. Qu’il organise de manière logique et bien structurée cette réflexion.
  3. Qu’enfin, il va mettre en relief un paradoxe qui pique notre curiosité.

 

1. La forme du discours.

 

    - La situation d’énonciation s’apparente bien à un discours avec un énoncé ancré dans la situation de communication et un orateur qui manifeste sa présence dès la ligne 15 avec le pronom  « je » et le modalisateur « je crois » ainsi que l’emploi du présent d’énonciation. La Boétie se réfère aussi par deux fois au moment de l’énonciation lignes 22 et 32 « pour l’heure », « pour le moment ».

- De plus, ce discours s’ouvre sur une citation d’Ulysse, « parlant en public » (l.3) ce qui introduit aussitôt une polyphonie énonciative, La Boétie commentant le discours d’Ulysse et le corrigeant. Une deuxième citation sans auteur identifié est donnée ligne 23 « si les autres formes de gouvernement sont meilleures que la monarchie ». La forme orale que suppose le discours est ainsi soulignée par les autres voix que La Boétie introduit. Les verbes de paroles comme « s’exprimait » (l.3), « parlant » (l.3), « dit » (l.6) contribuent à la mise en scène d’un orateur.

- Enfin, des procédés oratoires comme la prise en compte d’un destinataire dans le dernier paragraphe (l.47) ou La Boétie recourt à un « nous » englobant tous les hommes, les répétitions « extrême malheur » (l. 17) et « extrêmement malheureux » (l.21), la reprise anaphorique de « tant » lignes 32, 33 et de la structure syntaxique « qui n’a de … que » lignes 36 à 38 contribuent à la forme oratoire de ce texte. La longueur des phrases, véritables périodes oratoires à la fin de l’extrait, soulignent la volonté de s’inscrire dans l’éloquence d’un discours à visée argumentative.

C’est pourquoi l’orateur s’attache à organiser soigneusement ce discours.

 

2 . Une organisation logique  bien structurée 

 

- Avec une opposition marquée dès le début à l’aide du connecteur d’opposition « mais » (l.6 et 16) et avec une affirmation accentuée par l’hyperbole « extrême » (l.17), « extrêmement  malheureux » (l.21), La Boétie condamne la domination « dure et déraisonnable » (l.10) d’un maître, l’allitération en [d] soulignant également la dureté des puissants.

- On remarque, de plus, une structuration forte des paragraphes avec la réfutation de la citation d’Ulysse en amorce ligne 13, dans le deuxième paragraphe puis une précaution nécessaire prise dans le troisième paragraphe: il ne s’agit pas de « débattre » du meilleur type de gouvernement (l.21,22). Dans le paragraphe 4, La Boétie expose alors la problématique à la ligne 32 « Pour le moment, je ne voudrais que tâcher de comprendre comment il peut arriver que tant d’hommes […] endurent […] un tyran seul » (l.33-35). Puis, l’exemple d’Athènes, dans le dernier paragraphe  de notre extrait, l.51, vient rappeler la « contrainte par la force de la guerre » (l.50) qui justifie que l’on supporte alors ce « mal patiemment » (l.54) et qui constate la faiblesse humaine.

- Enfin, l’étude des connecteurs logiques laisse apparaître de nombreuses relations causales: « puisque » (l.19, 45 et 46) ainsi que de nombreuses oppositions « mais, tout au contraire, toutefois, non pas… mais». En effet, La Boétie recherche l’origine de l’acceptation de la domination (cf connecteurs de cause), de la servitude des hommes et s’oppose (cf connecteurs d’oppositions) à l’opinion commune incarnée par la phrase d’Ulysse: n’ayons qu’un seul maître.

 

 

3 . Cette organisation rhétorique sert l’exposé du paradoxe.

 

En effet, le thème introduit est d’abord valorisé par l’étonnement mis en scène car La Boétie . Il recherche les causes d’une attitude et d’une situation difficile à comprendre et recourt à l’interrogative indirecte et au lexique de la surprise: « comment il peut arriver que tant d’hommes… » (l.34) , « Grande chose certes  et toutefois si commune… » (l.39), « plus s’en affliger, et moins s’en ébahir » (l.40), « il ne faut pas s’ébahir […] ni s’en ébahir ni le déplorer » (l.52, 53). La Boétie souligne l’étonnement que suscite la prise de conscience que nous nous soumettons volontairement à un maître, que nous préférons « mieux l’endurer que s’opposer à lui » (l. 38). Cet étonnement sera repris plus loin dans le discours (page 9 et 10) mais il sert d’emblée, dès le début du discours, à susciter la curiosité du lecteur. Le quatrième paragraphe de l’extrait est ainsi composé de deux longues phrases qui exposent la problématique du discours. La Boétie martèle les termes du paradoxe à l’aide d’anaphores, d’une gradation et d’oppositions: « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations  endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent; qui n’a de pouvoir de leur nuire que tant qu’ils en manifestent la volonté; qui ne saurait leur faire du mal que lorsqu’ils aiment mieux l’endurer que s’opposer à lui» (l.33-38). Les pluriels s’opposent au singulier (tant …//un tyran seul + hyperbole « un million d’hommes » l.41// « le nom seul d’un individu », « il est seul » l.45) et les propositions relatives qualifiant le tyran reprennent en anaphore la négation restrictive « ne…que » qui restreint la puissance du tyran à la volonté consentie des sujets. Le conditionnel « saurait » souligne également la condition sine qua non du pouvoir tyrannique: que les sujets « donnent » (l.36) le pouvoir au tyran. L’image de « la nuque sous le joug » rapproche les humains des animaux asservis par l’homme comme le boeuf de labour (l.42) et le vocabulaire de la magie « ensorcelés et charmés » (l.43,44) introduit même l’irrationnel pour décrire cette situation incompréhensible. Enfin, nous pouvons noter l’image négative que donne La Boétie des maîtres, des tyrans, affectés d’un lexique dépréciatif: « dure, déraisonnable, l.10, mauvais, l.19, inhumain et sauvage, l.46). Ce discours politique semble donc s’attaquer à la tyrannie.

 

Conclusion:

 

        Pour finir, nous pouvons reconnaître que cette introduction expose clairement les faits tout en piquant notre curiosité grâce à la progression efficace du discours et au paradoxe de la « servitude volontaire ». La Boétie, en homme de son siècle, a donc commencé son discours en citant les Anciens, l’Ulysse d’Homère, mais non pas comme argument d’autorité. Au contraire, le jeune penseur conteste aussitôt le deuxième vers d’Ulysse pour proposer ensuite une réflexion sur les mécanismes non seulement du pouvoir politique mais sur ceux qui régissent notre esprit, notre volonté et qui nous conduisent à renoncer à notre liberté. 

     Le regard neuf que porte La Boétie sur le rapport des sujets à leur souverain est original, intriguant et somme toute subversif, puisque Montaigne n’a pas souhaité éditer le texte durant le contexte des guerres de religion, craignant à juste titre une récupération politique de la pensée si subtile de son ami.

 

 

 

 



11/11/2018
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