Lecture analytique n°3 Pde Clèves
Lecture analytique n° 3 - La Princesse de Clèves, Mme de La Fayette, 1678
Un bal, un prince et une princesse
INTRODUCTION
[ Présenter brièvement l’autrice, le contexte] . Insister sur son appartenance au classicisme. [Présentation de l’oeuvre et situation du passage] - Le passage relate la rencontre des deux protagonistes du roman, la princesse de Clèves et le duc de Nemours, qui ont été présentés dans les pages précédentes comme des figures exceptionnelles de la Cour (Nemours : personnage plein de charme, « un chef-d’œuvre de la nature » ; la princesse : un modèle de perfection physique, morale et sociale). Cette rencontre a lieu dans le cadre d’un bal organisé à la Cour des Valois à l’occasion des fiançailles du duc de Lorraine avec Claude de France, seconde fille du roi. Nous sommes en février (cf p. 39) Dans l’économie du roman, cette rencontre survient quelque temps après le mariage de l’héroïne avec le prince de Clèves, dans un contexte d’intrigues galantes.
LECTURE de l’extrait.
Problématique: Comment Mme de La Fayette rend-elle cette rencontre exceptionnelle et remarquable?
I – Le récit d’un coup de foudre : une rencontre exceptionnelle.
L’autrice conjugue deux motifs romanesques : la scène de bal et la scène de rencontre amoureuse, le bal donnant un éclat particulier à cette rencontre.
A – Un cadre d’exception :
Ce bal est donné en l’honneur des fiançailles de Claude de France (fille du roi Henri II) et du duc de Lorraine. Toute la cour est donc rassemblée. C’est un moment privilégié, exceptionnel.
– champ lexical de la fête : bal/ festin royal/ parure : + 5 occurrences du verbe « danser » (l.4,7,12,22,25)
– champ lexical de la cour et de l’aristocratie : festin royal l.2/ Louvre l.3 (résidence royale), le roi l.9, ce prince l.13, le roi et les reines, l.23, Votre Majesté l. 33.
– Les personnages sont tous des aristocrates (noms avec la particule DE ou titres comme roi, duc…)
Il s’agit donc d’un cadre brillant selon l’idéal précieux. Tout semble parfait ainsi qu’en témoigne le lexique appréciatif valorisant « beauté » « air brillant » « admiration » « étonnement » ou encore « louanges ».
– Le sens de la vue est particulièrement privilégié. Le but du bal n’est pas seulement de danser mais de voir et d’être vu, champ lex. de la vue: l. 3,8,14,17,24,25,43,46,48. Ce cadre est éminemment public (à la vue de tous) et non intime.
Nous avons ici une mise en scène caractéristique du classicisme, tout semble parfait comme le soin porté aux parures.
B – Une rencontre romanesque et théâtrale :
La romancière a préparé cette scène de rencontre au point que lorsque Mme de Clèves le voit « elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours ». La négation restrictive souligne la certitude de la reconnaissance.
Par ailleurs, Nemours arrive en retard : choix de la romancière (sinon ils auraient dû être présentés) or ils dansent sans avoir été présentés. L’entrée en scène de Nemours est assez fracassante, il ne passe pas inaperçu :
– l. 5 « il se fit un assez grand bruit vers la porte »
– l 11-12 : « qui passait par dessus quelques sièges ».
La structure du texte traduit la naissance de la passion :
– L 1 à 18 : cadre + rencontre physique : on passe de l’ouïe au regard.
– L 19 à la fin : la rencontre par la parole/ passage du IL et du ELLE à ILS
C – Une rencontre « organisée » :
Cette rencontre a été préparée : Mme de Clèves a beaucoup entendu parler du duc par Mme la Dauphine. (cf le passage qui précède l’extrait). Son nom a donc commencé à gagner son esprit : processus de cristallisation et curiosité suscitée. Mme de Clèves est donc un personnage guidé, poussé vers la passion par un facteur externe : la Dauphine qui lui vante les qualité du duc de Nemours.
Mais on peut aussi noter le rôle du roi et de la reine : « le roi lui cria de prendre celui qui arrivait » (périphrase pour désigner Nemours) + « ils les appelèrent » l.26 + l.23 « le roi et les reines… leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient ».
Toute la cour semble donc se plaire à les réunir et le destin agit par l’entremise du roi. Ces deux personnages sont destinés à se rencontrer et à se plaire.
II – Cette rencontre est remarquable car les personnages incarnent l’idéal classique :
A – Des héros magnifiés :
– Ce sont des personnages qui jouissent d’une grande et haute réputation à la cour. Chacun a ainsi entendu parler de l’autre. D’où la reconnaissance : l.33 « reconnaître » et l.42 « vous le connaissez sans l’avoir jamais vu ».
– Ils se caractérisent par une grande beauté : on peut noter à ce titre les hyperboles et les superlatifs : « ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surpris » mais c’est aussi une LITOTE pour évoquer le coup de foudre. (noter l’importance de la litote pour l’esthétique classique); « l’air brillant » l.16 , le duc irradie de lumière comme la foudre. Pourtant leur beauté n’est pas détaillée, c’est une sorte de valeur indescriptible. Noter l’imprécision des termes. Il y a d’ailleurs peu de descriptions physiques dans ce roman puisque l’auteur privilégie les analyses psychologiques.
On constate dans les descriptions antérieures et postérieures à ce passage que le duc de Nemours répond aux canons de l’idéal classique de « l’honnête homme » même si le récit se déroule au XVIè (transposition des valeurs).
Pour ce qui est de Mme de Clèves : « l’on admira sa beauté » : le pronom impersonnel ON a une valeur collective : il signifie qu’elle fait l’unanimité; « un grand étonnement »; « M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté ».
Et par rapport au couple qu’ils forment : « il s’éleva dans la salle un murmure de louanges »; ils font l’unanimité également.
Ce sont donc deux êtres d’exception! (cf. comparaison implicite avec la beauté de la Dauphine l. 45 à 48). Ils deviennent le point de mire de la Cour, l’objet de tous les regards et de l’admiration générale.
La cour = un spectateur. Elle agit comme un regard témoin qui les valorisent. Ils se trouvent comme isolés au milieu du cercle formé par la cour : focalisation sur eux.
B – Deux êtres prédestinés à se rencontrer :
– ils se reconnaissent sans qu’on les présente: l.10 périphrase « un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours »
– + effets de parallélisme/ écriture de la réciprocité : Ils ont pris tous deux beaucoup de soin à se « parer » (l. 1 et l.15). Ils ont tous deux une beauté exceptionnelle (l.13 et l. 16). Tous deux sont frappés de SURPRISE : l’adjectif « surprise » l.13 signifie « saisie », cela traduit le coup de foudre et l’« étonnement » l.18 renvoie au tonnerre, donc encore à la foudre!
Leur union est symbolisée par la danse. On passe alors au pronom personnel pluriel ILS, LES ou LEUR. Et l’expression « quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître » souligne le caractère extraordinaire et prédestiné de cette rencontre.
C – Des personnages porteurs des valeurs classiques :
La rencontre est menée par le regard : cf champ lexical de l’admiration et du regard : elle cherchait des yeux/ vit un homme/ n’être pas surprise de le voir/ voir / admirer …
Or, selon l’esthétique précieuse qui influence en partie le classicisme, le regard précède la parole amoureuse. La danse révèle ici la place accordée au langage des gestes et du corps. Pourtant, l’on constate toujours beaucoup de retenue chez les personnages classiques. Or, il semblerait que Mme de La Fayette considère le dialogue corporel comme une voie de transmission des sentiments : c’est sans doute pour suggérer l’idée que le corps peut trahir l’âme.
– ainsi l’entrée de Nemours constitue un véritable élan amoureux « qui passait par dessus…pour arriver » l.11-12.
– il manifeste sa surprise et son étonnement: « il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration » l.21.
– et Mme de Clèves « qui paraissait un peu embarrassée » l.37-38 ment ouvertement aux yeux du lecteur.
L’un comme l’autre maîtrisent mal leurs émotions et Nemours « de tout le soir, ne put admirer que Mme de Clèves » l.48.
Dans la scène de présentation, Mme de La Fayette recourt au style direct. Ceci témoigne de l’art de la conversation en vogue au XVIIè (cf. idéal de l’honnête homme encore). Nemours s’exprime en parfait homme du monde avec élégance, subtilité. Respecte les bienséances.
Ce dialogue, comme au théâtre, révèle toutefois une double énonciation: les protagonistes ne se parlent que par personne interposée. La cour, la reine, le roi opèrent une frontière qui maintient la bienséance. Mais si Nemours et la princesse ne s’adressent qu’au roi et aux reines (1ers destinataires), le deuxième destinataire, ce sont eux car la cour fait déjà écran. Ces témoins comprennent d’ailleurs leurs sentiments malgré eux car ces personnages sont aussi emblématiques d’une époque :
– société régie par les apparences
– fondée sur le divertissement
– qui maîtrise l’art de la litote « je crois » l.35, modalisateur d’incertitude alors que la reine Dauphine est certaine de ce qu’elle avance et Mme de Clèves qui a peur de se trahir en avouant qu’elle l’a reconnu « je vous assure(…) que je ne devine pas si bien » proteste inutilement avec un modalisateur de certitude.
En femme mariée et en femme dotée d’une haute moralité, elle cherche à refouler cette passion naissante. Le signe de sa passion naissante est donc le déni: elle cherche à réprimer ses sentiments et cette dissimulation la trahit.
Conclusion :
Une scène de bal, c’est donc bien un moment d’exception qui permet de mettre en présence deux personnages qui se ressemblent et s’attirent. C’est aussi l’occasion d’un coup de foudre : les personnages sont voués à s’aimer, mais il s’agit d’un amour contrarié (donc romanesque). Voilà, de quoi rendre cette rencontre extraordinaire. De plus, cette scène de rencontre s’oppose en tout point à la rencontre de M. et Mme de Clèves (rencontre due au hasard, hors de la cour). Effet de contre-point?
En recourant au bal, la romancière ménage le caractère singulier et romanesque qui convenait à l’événement qui va changer tout le cours du roman; elle annonce aussi les tensions qui vont animer les personnages, le dilemme entre passion et raison. Mais une question reste sans réponse: où est le mari? Que fait et que pense M. de Clèves? Il semble que la romancière l’ait fait disparaître!
Autres problématiques possibles:
- En quoi ce passage est-il ambigu ?
- Comment l’autrice met-elle en scène dans ce passage la naissance d’une passion amoureuse?
ANNEXE:
Des éléments pour l’introduction :
Mme de La Fayette (1634-1693) est une des rares femmes écrivains du XVIIè siècle. Elle appartient au classicisme, mais subit l’influence du roman précieux. Femme cultivée. A fréquenté les salons; a tenu elle-même un salon. Evolue dans un milieu aristocratique et lettré.
En 1662 : elle publie une nouvelle La Princesse de Montpensier puis un roman précieux en 1670, Zaïde . Ces deux textes sont publiés sous le nom de Segrais. La Princesse de Clèves est publiée anonymement. C’est le 1er roman d’analyse psychologique français. C’est un roman qu’on peut qualifier de précieux, d’historique et d’analyse.
L’autrice veut attirer l’attention sur les désordres de l’amour. Elle situe son roman précisément dans le temps et peint les mœurs d’une époque: le XVIè s. (passé relativement proche donc). Elle fait revivre des figures historiques (Henri II, Catherine de Médicis).
Elle insiste surtout sur l’analyse des sentiments de la passion amoureuse et sur le conflit entre passion et raison.
Il s’agit ici d’une scène de bal conjuguée à une scène de rencontre amoureuse (cf inamoramento) : 2 topoi romanesques.
Cette scène se situe quelques semaines après le mariage de l’héroïne (2 pages avant dans le roman).
Mme de La Fayette a déjà brossé les portraits de nos deux protagonistes dans les premières pages.
Nemours revient à la Cour après un séjour à Bruxelles = hasard calculé de la romancière : il est absent lorsque l’héroïne arrive à la cour et il ne la découvre donc qu’une fois mariée.